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Les critiques de Bifrost

J.R.R. Tolkien, une biographie

J.R.R. Tolkien, une biographie

Humphrey CARPENTER, J. R. R. TOLKIEN
POCKET
320pp - 7,70 €

Bifrost n° 76

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Tous les connaisseurs le savent : Tolkien n’aimait guère l’idée d’une biographie, parce qu’il pensait que « retracer la vie d’un écrivain est une manière fausse et entièrement vaine d’approcher son œuvre ». Il y a quelque chose de fascinant dans ce jugement a priori du travail biographique mené à bien par Humphrey Carpenter, car à lire son remarquable ouvrage, on découvre justement comment est né « Le Seigneur des anneaux », en particulier et plus globalement le « Légendaire » tolkienien : premières années de J. R. R. Tolkien en Afrique du sud, la perte de ses parents, sa conversion au catholicisme (initiée par sa mère), ses études sans le sou à Oxford, son don pour les langues mortes, l’horreur de la Première Guerre mondiale, sa maladie et les fatigues à répétition de son épouse Edith. Et puis le calme d’une vie studieuse, l’amitié avec C.S Lewis. On voit naître le Mordor dans le champ de bataille de la Somme ; l’amour des arbres et des forêts se dessine de l’enfance jusqu’à la fin de la vie de l’écrivain ; les personnages du « Seigneur des Anneaux » et de Bilbo le Hobbit apparaissent ici et là sous d’autres noms, d’autres visages : Gandalf est un guide de montagne à l’impressionnante barbe, Sam Gamegie est l’archétype du soldat anglais fier et idéaliste, etc. L’entreprise au long cours d’Humphrey Carpenter (qui passa huit mois chez Christopher Tolkien, cinq jours par semaine, rien que pour étudier les archives familiales) impressionne à bien des égards.

En 280 pages (à peine), d’une incroyable densité, Carpenter expose la vie de Tolkien, la porte au grand jour, explique le rapport de l’auteur avec le Catholicisme, la guerre, le mariage et la paternité (pas aussi idylliques que pourraient le laisser supposer la rédaction de Bilbo le Hobbit et, avant ça, Roverandom : Tolkien faisait régulièrement preuve d’un immense égoïsme). On perçoit le poids du « Seigneur des Anneaux », d’abord dans la vie de son auteur, puis dans le monde entier, un poids qu’on peut évidemment rapprocher au fardeau que devient l’anneau Unique pour son porteur : Frodo/Frodon. On s’amuse aussi d’apprendre que Tolkien a beaucoup joué au rugby, n’aimait pas voyager dans les pays qui le fascinaient pourtant, détestait cordialement les œuvres de Shakespeare et ne trouvait guère d’intérêt aux grands philosophes grecs qu’il fut évidemment obligé d’étudier à Oxford.

J.R.R. Tolkien, une biographie est un exemple saisissant de travail méticuleux où, avec une constance admirable, le sérieux et la précision l’emportent sur la passion ; par définition, certains aspects de la vie de Tolkien sont moins palpitants que d’autres, mais passée la page cent, au moment où le « Légendaire » tolkienien commence à émerger de l’esprit de son démiurge (grosso modo à la fin de la Première Guerre mondiale), tout amateur du « Seigneur des Anneaux » ne pourra qu’être happé par les détails (parfois intimes) d’une des plus im-pressionnantes success stories littéraires.

Thomas DAY

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