Connexion

Les critiques de Bifrost

Kamikaze l'amour

Richard KADREY
DENOËL
7,75 €

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

« La pièce puait le moisi, une odeur d'un bleu acre, genre laine d'acier ». Ryder souffre de synesthésie : ses sens mélangés perçoivent les sons comme des volumes ou des couleurs, le goût comme des notes. Il est devenu une star du rock qui compose ses morceaux de musique comme des tableaux. « Découvrant enfin le piano avec netteté, je restais malgré tout incapable de dire où finissait l'instrument et où commençait la jungle : orchidées et gingembre sauvage avaient envahi le cadre de bois, l'affaiblissant à tel point que les lianes avaient pu s'y introduire, fondant piano et jungle en une unique masse organique. » Les bouleversements climatiques ont en effet permis à la jungle amazonienne de progresser jusqu'à la Californie. Dans ce paysage en pleine déliquescence, digne de La forêt de cristal de Ballard (J'ai Lu), Ryder, en pleine déprime, commence un parcours initiatique en compagnie de Catherine, une femme qui cherche à écrire la musique de la jungle. Les sons de la forêt sont pour elle le moyen de découvrir la Ligne d'esprit d'un lieu. Ryder, de son côté, cherche la Ligne d'esprit des villes, qu'il assimile à une danse fractale, un motif sans cesse recomposé, en perpétuel changement : « Nous réinventons mentalement nos villes en même temps qu'elles-mêmes se reconstituent à l'infini ».

Ayant simulé sa propre mort pour échapper aux mâchoires du show-biz, Ryder n'en est pas moins traqué par un reporter avide de sensationnel et par Virilio, son pourvoyeur en drogue et en faux papiers, à la solde de son imprésario qui souhaite le voir terminer Kamikaze l'amour, son dernier album, « une version millénariste de l'idéal d'André Breton : L'Amour fou ». Peut-être faut-il croire qu'il est resté inachevé car Ryder n'avait pas trouvé sa Nadja, l'inspiratrice capable de le mettre sur la voie de son univers intérieur.

La promenade parsemée de tableaux surréalistes sur fond de mathématiques fractales a les accents tourmentés d'un Joseph Conrad (explicitement cité) et la beauté des retours aux sources, où le chamanisme établit un lien avec la nature.

Richard Kadrey qui avait fourni un roman cyberpunk bourré d'images délirantes (Métrophage, dans la même collection) poursuit ici une recherche intellectuelle et lyrique à la croisée des genres et des cultures.

Claude ECKEN

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug