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Les critiques de Bifrost

Kid Wolf et Kraken Boy

Kid Wolf et Kraken Boy

Sam J. MILLER
LE BÉLIAL'
192pp - 12,90 €

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

Découvert en France par son roman La Cité de l’orque (cf. Bifrost n° 94), Sam J. Miller est aussi auteur de nouvelles, comme en témoignent ses publications dans nos pages (Bifrost n° 94 et 103). Avec Kid Wolf et Kraken Boy, l’auteur nous propose boxe, pègre, amour homosexuel et tatouages magiques, rien de moins !

À la fin des années 1920, dans le New York juif, deux jeunes hommes se rencontrent par l’entremise d’une baronne de la pègre, Hinky. Wolffe, « Kid Wolf », est un boxeur et combat pour elle, à l’instar de nombreux autres. Teitelstam, « Kraken Boy », est un tatoueur des bas-fonds, troquant son talent qu’il juge incertain contre quelques pièces, jusqu’à ce que la boss décide de miser sur lui. En effet, Hinky connaît son secret : les tatouages sont porteurs d’un potentiel magique, suivant l’alignement de quatre conditions. Chaque peuple ayant une tradition de tatouage représente une lignée, avec ses spécificités, ses interprétations, ses artisans. Teitel, lui, n’appartient à aucune d’entre elles, raison de son manque d’ambition avant la rencontre avec Wolffe.

Les deux hommes vont tomber éperdument amoureux, mais Teitel — déjà cantonné aux marges — assume plus facilement cet amour interdit. Sam J. Miller décrit avec passion la relation entre ses deux personnages, et l’ambiance moite des entraînements et des combats donne une chaleur propice à la tension sexuelle. En postface, l’auteur explique s’être richement documenté pour rendre au mieux « l’identité et la sexualité gay dans les années 1920 à New York ». Une authenticité qui transpire dans chaque page.

Le crime organisé étant au cœur de l’histoire, une veine polar parcourt également ce texte hybride. La Yiddish Connection sert de cadre au conflit entre Hinky et Lepke Ginsberg. Difficile de ne pas voir dans ce dernier une référence à Lepke Buchalter, dirigeant de l’organisation Murder Inc. Les liens de ces mafias avec le monde du sport sont bien connus, notamment dans le base-ball et… la boxe. Là encore, Sam J. Miller colle au plus près du réel en convoquant de grands noms du noble art de l’époque et en ajoutant Kid Wolf dans cette cour des très grands.

L’aspect interculturel du tatouage, n’omettant pas la tradition carcérale, est investi pour faire progresser le boxeur et l’intrigue, dans cette ville-monde qu’est New York. Les paragraphes consacrés au(x) symbolisme(s) des différents motifs sont fascinants.

Dans Kid Wolf et Kraken Boy, le rythme est soutenu, fait de courts chapitres, et le récit se dévore d’une traite. La narration alterne entre Wolffe et Teitel, dynamisant plus encore certaines scènes déjà bien toniques, jusqu’à un final ébouriffant, pour dessiner en creux, in fine, la silhouette d’un monde uchronique étonnant.

En somme, une novella de grande qualité, pleine de panache, entremêlant avec justesse de nombreux univers — que l’on pourrait croire sans lien — jusqu’à former un puzzle intelligent dans lequel chaque pièce trouve sa place, magnifiée par le regard de l’auteur.

Mathieu MASSON

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