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Les critiques de Bifrost

Killing Kate Knight

Killing Kate Knight

Arkady KNIGHT
CALMANN-LÉVY
528pp - 22,90 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

Avec son premier roman Killing Kate Knight (titre « officiel » qu’on pourra un peu regretter), le fielleux critique Arkady K. nous démontre, s’il en était encore besoin, qu’il est un dangereux pervers. Sous couvert de nous parler de cinéma, de création, d’identité, de liberté et de toutes ces sortes de choses (mais surtout de cinéma, comme la jolie couverture le suggère avec le dos de la cuillère), il nous a en effet livré un bouquin étalant à la vue de tous ses fantasmes sordides concernant la pauvre Keira Knightley, actrice connue du monde entier (ou presque…), qui ne lui a probablement rien demandé. On peut d’ailleurs à bon droit s’interroger sur les raisons de cette fascination pour la star hollywoodienne (mais néanmoins anglaise), chez l’auteur comme chez les fans qu’il met en scène dès les (hilarantes) premières pages de son roman, fans qui dissertent à longueur de forum sur les qualités essentielles de ladite K.K.

C’est ainsi qu’il nous dépeint bien vite, à la manière d’un scénario et à grands renforts de fuck fuck fuck, l’actrice enlevée par un maniaque en plein tournage d’un blockbuster sentant le navet. Elle se réveille, sans trop savoir comment elle est arrivée là, menottée à un lit telle la Jessie de Stephen King, sans défense face au mystérieux individu qui dispose désormais d’un droit de vie et de mort sur elle ; droit qu’il entend bien exercer, à terme — il lui assure en effet qu’elle doit mourir, « pour son propre bien et celui du cinéma ».

Parallèlement, nous suivons sous une forme plus classiquement romanesque, tout d’abord, puis sous une forme éclatée, l’histoire de Lara Sarah Delilah K., qui nous est contée à grands renforts de putain putain putain. Lara est tueuse de son état, au service du Service (c’est-à-dire du gouvernement), et lutte armée de son big smile gun contre l’Organisation, maîtresse du trafic de drogue à une échelle difficilement concevable. Quelque part entre Domino (bien sûr), Nikita et l’héroïne de Kill Bill, Lara est aussi impitoyable que fatale et répand la mort autour d’elle tout au long d’une trame savamment bourrée de clichés, de punchlines et de twists hollywoodiens.

Bien évidemment, ces deux histoires sont amenées à s’entrecroiser, à s’accoupler dans un gros bordel de dérèglement de la réalité, grave et sérieux. « Coulez mes larmes », dit la girl kick-ass… Killing Kate Knight, du coup, c’est un peu — tentons la métaphore « tartare » — Sarah Connor® traçant à bord d’un putain de 4x4® sur la Lost Highway® de David Lynch® en jurant comme un charretier, filmée par un John McTiernan® sous acide, sur un script co-écrit par Christopher Priest® et le fantôme de Philip K. Dick®, tous le flingue sur la tempe. Du cinéma tantôt hénaurme et tonitruant, tantôt glacialement pervers, mais qui, heureusement pour nous, a oublié d’être con, et, sous sa patine d’actioner bourrin mêlé de (faux) thriller en huis-clos, se révèle bien entendu d’une subtilité (si) et d’une profondeur qui font honneur à son auteur.

Car Arkady K. a du talent, et Killing Kate Knight, roman complexe et ambitieux (voire mégalo), en témoigne assurément : le ton est juste, le style impeccable de bout en bout, la narration d’une efficacité éclatante (bang), les personnages, Keira Knightley en tête, hauts en couleurs et en même temps très humains, le propos, enfin, passionné et passionnant. Dissection acérée et fine du cinéma contemporain et des phénomènes médiatiques qu’il suscite et qui en viennent à le parasiter, ce premier roman est une réussite indéniable, façon « coup de poing », comme dirait un journaliste. Le lecteur en ressort avec quelques bleus en plus, des dents et des illusions en moins, mais irrémédiablement conquis, tant par la forme, audacieuse mais dans l’ensemble très pertinente, que par le fond, lucide et brillant.

Certes, à l’instar de l’héroïne dédoublée, on gardera les pieds sur terre, et on ne fera pas pour autant de Killing Kate Knight un chef-d’œuvre. On peut bien lui reprocher quelques menus défauts, en effet : sans doute est-il un poil trop long, et du coup parfois redondant ; on peut rester sceptique devant certains traits vaguement « expérimentaux » pas toujours nécessaires, certains artifices un peu trop appuyés ; on peut aussi considérer, dans le même ordre d’idées, certaines scènes — rares, heureusement — un brin pontifiantes. Killing Kate Knight, avec tout son éclat, reste un premier roman, et cela se sent à l’occasion ; aussi peut-on trouver qu’Arkady K. en fait parfois un peu trop, et que son talent n’est pas toujours canalisé au mieux, à trop vouloir sauter à la gueule du lecteur à chaque page. Un peu plus de retenue aurait été souhaitable par endroits.

Mais l’impression générale est indéniablement et très largement positive. Killing Kate Knight séduit et fait mal, ce qui fait du bien ; c’est une réussite certaine, délicieusement hors-normes, audacieuse et ambitieuse : des premiers romans comme ça, on aimerait en lire plus souvent.

Bertrand BONNET

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