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Les critiques de Bifrost

Kornwolf - Le Démon de Blue Ball

Tristan EGOLF
GALLIMARD
466pp - 22,90 €

Critique parue en janvier 2010 dans Bifrost n° 57

Lorsque Owen Brynmor revient à Stepford, il ne se trouve pas vraiment dans la situation du fils prodigue. Lui, le celte qui a consacré son adolescence à maudire la ville, le comté et l'ensemble de sa population, « Habits rouges » et « Bataves » confondus. À peine engagé par le journal local, on lui confie l'exclusivité du retour du démon de Blue Ball, une bête effrayante ayant jadis défrayé la chronique. Le jeune homme saute sur l'occasion car l'affaire lui offre l'opportunité de régler ses comptes avec le milieu local.

Ephraim Bontrager, adolescent mutique au physique ingrat, a lui aussi un lourd passif à solder. Fils de Benedictus, une des figures de la communauté amish, il vit depuis des années sous la férule autoritaire et impitoyable de son géniteur. Souffre-douleur de son père, objet de moqueries de la part des « Anglais » à l'école, l'adolescent, déjà réputé pour ses actes de délinquance, semble sur le point de basculer définitivement dans la violence…

Tristan Egolf laisse derrière lui une œuvre météoritique. Entre son premier roman, dont la parution a bénéficié du coup de pouce de Patrick Modiano, et l'ouvrage faisant l'objet de la présente chronique, entre sa reconnaissance littéraire et son suicide en 2005, sept années se sont écoulées. Un laps de temps jalonné par l'écriture de trois livres : Le Seigneur des porcheries, Jupons et violons et Kornwolf. Pourtant, rien ne paraît moins céleste que cette œuvre enracinée en Amérique, plus précisément en Pennsylvanie, un Etat dont Egolf ne cessa de brosser un portrait féroce, pétri à la fois de tendresse et de haine.

Kornwolf se présente ouvertement comme une variation sur le thème du loup-garou, la couverture ne laisse aucunement planer le doute sur ce point. Toutefois, au lieu d'abonder dans la surenchère horrifique, la lycanthropie sert de prétexte à l'auteur américain pour renouer avec la thématique du mal. Le récit de Kornwolf tient tout à la fois de l'enquête, de la peinture de mœurs et de l'histoire fantastique. Egolf nous dépeint longuement la communauté amish, écartant implacablement les clichés colportés par Witness, le film de Peter Weir. Tout le monde garde peut-être en mémoire le rigorisme apaisé et apaisant de cette secte. La saine austérité de ses membres au front buriné par le grand air et les travaux des champs. La simplicité dépourvue de perversité et de violence de leur existence. Ici, la description semble beaucoup moins naïve. Objet de curiosité, mis à profit par les voisins anglo-saxons faisant du voyeurisme une activité touristique rémunératrice, la communauté amish se révèle moins monolithique qu'il n'y paraît. Enclin au morcellement, aux tensions et comportant son comptant de dégénérés consanguins, libidineux et autoritaires (pour ne pas dire fascisants), elle offre la vision d'un microcosme asphyxiant, enferré dans le culte du secret. Et ce ne sont pas ses voisins « Habits rouges » qui remontent le niveau du comté. À vrai dire, personne ne sort grandi du roman de Tristan Egolf. Pourtant l'auteur laisse percer, de temps en temps, un sentiment de tendresse à l'égard des existences étriquées, fatiguées ou meurtries dont il peuple les pages de son roman. Même si on se situe un cran en dessous du Seigneur des porcheries, roman monstre, iconoclaste, paillard et faisant des parias des héros magnifiques, avec Kornwolf Tristan Egolf fait montre d'une grande habileté en usant des codes du roman fantastique. Il troque la somptuosité des descriptions pour une efficacité narrative qui n'est pas sans rappeler le Stephen King des débuts.

Avec ce roman posthume, Tristan Egolf nous lègue une histoire qui n'a pas de fin, à l'instar d'une humanité dont le désir de perfection paraît désespérément inachevé. On le regrette déjà.

Laurent LELEU

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