Sous une jolie illustration de Jean-Jacques Chaubin, ce roman nous compte l'entrée de l'humanité dans la communauté galactique. Ce texte est agrémenté d'une préface due à Bruno Peeters qui, outre qu'elle s'évertue à expliciter ce qui devrait l'être par le texte lui-même, place Alain Duret sur un pied d'égalité avec Simmons, Banks, Ballard ou Brunner, et insiste sur l'idée saugrenue que ces Kronikes seraient comme un nouveau cycle de L'Instrumentalité. On est en droit de se demander dans quelle mesure notre éminent préfacier fait la différence entre l'insipidité thématique du livre en question et l'originalité du modèle… Mis à part le fait que ce roman est composé de nouvelles liées entre elles par leur contexte, ça n'a rien à voir ! Par contre, Peeters est dans le vrai quand il affirme que Duret a ici fait œuvre de space'op politique. Il faut comprendre politique au sens où l'entendait la S-F française des années 1975-85 : au ras des pâquerettes…
« Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » : telle est la devise de cette nouvelle société humaine où l'on cultive l'anticynisme comme une orchidée.
Ce qui nous permet d'affirmer d'emblée qu'Alain Duret est tout sauf un écrivain politico-prospectiviste comme peut l'être Greg Egan, par exemple. Ce roman n'est S-F que par l'entremise de la présence de gadgets genre astronefs ou extraterrestres plus ou moins verts. Aussi gageons que si les mentalités ont changé, c'est par l'opération du saint-esprit, pas par l'influence de l'hyper-technologie ou le FTL. Bref, l'humanité se serait « enfin » éduquée et serait devenue moralement correcte. Ce qui n'est qu'une exacerbation de la tendance politiquement correcte, justement, qui sévit ici et maintenant. Enfin ce roman restera comme un fleuron tardif de la littérature anticommuniste, l'auteur ne mâche en effet pas ses mots à l'endroit du feu système soviétique. Dans le premier texte, un stalinien ouvre le feu sur l'ennemi au cours d'une révolution, il est jugé mais la peine est plutôt symbolique : la répression n'est plus à la mode. Second texte, le contact avec la Fédération. Coup de pot : ce sont des pirates de l'espace. Dans la quatrième nouvelle, les Terriens doivent contacter une planète où s'opposent Marchands et Bolcheviques, les deux camps voulant aller jusqu'à l'overkill. Ils iront. Sept : illustration de « ce qui est rare est cher » avec destruction de planète à la clé. Dans le dernier texte, une mission d'observation conjointe tourne à l'incident diplomatique…
Les huit nouvelles composant ce roman se lisent avec un certain entrain et ne sont pas désagréables. Par contre, dès qu'on les aborde avec un œil politiquement critique — et donc incorrect — rien ne va plus. Les incohérences s'accumulent, le pompon revenant incontestablement à l'idée d'une société « libérale-collectiviste ». Tout le livre, pour le résumer en une seule expression, est une croisade contre l'individu. Alors que le libéralisme (authentique, et non pas l'ultralibéralisme) désigne le primat de l'individu sur la société, le collectivisme exprime le primat de la société sur l'individu. Comment Duret résout-il ce paradoxe ? Par une autre contradiction. « À haute technologie, haute morale » écrit-il page 49.
« Les Terriens, sans en avoir l'air, respectaient une éthique assez précise » (P 176). « (Les Terriens étaient) riches d'un niveau culturel inouï, riches d'une abondance hallucinante de biens matériels, riches de préoccupations éthiques élevées » (P 252). Traduit de la langue de bois, l'ordre moral règne. Et l'ordre moral est l'antinomie de la liberté et du plaisir sexuel. Or, Alain Duret se fait dans son livre le véritable chantre de la révolution sexuelle. Quant au qualificatif accolé aux libertins, c'est le plus souvent celui d'amoralité, voire d'égoïsme. Reste que le travail est toujours une valeur… quoi ? Morale ? En attendant, des chercheurs sont employés comme garçons de café. La Révolution Culturelle n'est pas loin. Ce travail si cher aux puritains. Ce travail dont toute société spolie les individus qui l'ont produit… Etc.
On pourrait commenter ces Kronikes ad nauseam. Mais, puisque ce n'est pas un livre désagréable, autant le lire, et l'analyser soi-même. Il appelle la critique, il fait réfléchir, sur le mercantilisme, le gauchisme bien pensant, le stalinisme, l'angélisme, la misère sexuelle contemporaine, le racisme et le racisme-miroir, etc. Côté S-F rien que du déjà vu, pas l'ombre d'une originalité au tableau. Ce roman n'a pas à être lu pour la Science-Fiction en elle-même. Bon est un terme qui ne convient pas pour parler de ces Kronikes au demeurant très intéressantes. Alain Duret a ici voulu faire œuvre politique, il y est parvenu.