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Les critiques de Bifrost

Kuru

Kuru

Thomas GUNZIG
FOLIO
264pp - 9,40 €

Bifrost n° 40

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

Ils sont quatre. Des pathético-ravachol qui ont décidé de se rendre au sommet du G8 à Berlin afin d'aider un certain Heinrich Müller à surveiller la manifestation altermondialiste qui se prépare et dont tout le monde dit qu'elle va tourner au massacre. Une rumeur bien étrange, à bien y réfléchir. Ils sont quatre donc : Fred, le thésard branleur financé par son entrepreneur-des-années-80 de père ; Kristine, l'intello ; Paul, un révolutionnaire à qui il ne faut surtout pas parler de l'Amérique du Sud, et Pierre, le clone raté issu des manipulations génétiques d'une secte genre Raëliens.

Il y a aussi un couple : Katerine (la cousine de Fred), une sorcière moderne capable de télékinésie, et Fabio, son mari, qui a un gros problème d'éjaculation précoce. Tous deux se trouvent au même moment à Berlin (ville décrite comme si un hiver nucléaire venait de s'abattre sur l'est de l'Allemagne) afin d'essayer une nouvelle méthode médicale, « la dissociation », qui permettra peut-être à Fabio de pénétrer pour la première fois (tel Armstrong marchant sur la Lune) son épouse.

Evidemment, une collision se prépare sur fond d'émeutes sanglantes et de théories conspirationnistes.

J'adore Thomas Gunzig (Le Plus petit zoo du monde)… En fait, soyons plus précis, j'adore les nouvelles de Thomas Gunzig, car la lecture de son premier roman, Mort d'un parfait bilingue, m'avait laissé sur ma faim, déçu. Il manquait un truc. Kuru (la maladie mortelle que contractent les anthropophages mangeurs de cerveaux, pour ceux qui l'ignoreraient) m'a — bis repetita — laissé sur ma faim ; là aussi il manque un truc, et pas le moindre : une histoire, une intrigue forte. Kuru est surtout le portrait de neuf personnages, les sept cités précédemment auxquels on ajoutera Mika (la copine parano d'Heinrich Müller) et Rosa (la fille d'Heinrich Müller qui, telle une longiligne fleur des champs sur le point d'éclore façon orchidée, va découvrir les plaisirs du lesbianisme) ; un portrait de groupe altermondialiste assorti d'un portrait de couple dysfonctionnel, donc. Naturellement, il y a des passages à mourir de rire, des fulgurances (la scène de magie satanique, la description du shopping de Katerine, les malheurs de Pierre, la « dissociation » de Fabio). Gunzig a un talent fou, un style impressionnant, qui — personnellement — me rend jaloux. Page après page, Kuru se lit avec le plus grand plaisir, une jouissance littéraire pas si courante que ça à bien y réfléchir. Il n'y a pas vraiment d'histoire, vous êtes prévenus (ce que confirme une fin que l'on pourra juger culottée et qui me semble pour ma part des plus j'menfoutiste), mais il y a tellement d'idées et de trouvailles que ça vaut amplement d'être lu.

Kuru a été écrit sans plan, au fil de la plume (du moins, c'est qui ressort de sa lecture), et on pense alors à Hunter S. Thompson… en se demandant ce que serait devenu Hunter S. Thompson s'il était né en Belgique. Ne reste plus qu'à espérer que les Illuminati ne laisseront pas Thomas Gunzig à demi-mort sur le bas-côté d'un chemin de traverse à cause d'une sombre histoire de royalties…

Thomas DAY

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