Dans une préface qui appartient déjà au roman, Dan Simmons interviewe Jack Perry, un alpiniste qui lui adresse ensuite ses mémoires, notamment à propos d’une expédition non officielle dans l’Everest en 1925.
Afin de mieux faire ressentir les épreuves qui attendent les grimpeurs, mais aussi pour faire accepter la partie imaginaire du roman, le narrateur débute son récit très en amont avec une ascension du Cervin en compagnie de Richard Davis Deacon, dit le Diacre, et de Jean-Claude Clairoux, un Français connu pour être l’inventeur du Jumar, la poignée bloquante sur corde fixe qui fait office d’ascendeur. Il s’agit, dans la phase préparatoire, d’instruire le lecteur sur les particularités de la haute montagne et l’équipement pour le moins sommaire des alpinistes, moins efficace et plus lourd que celui utilisé aujourd’hui. La qualité de la corde, le type de chaussure, la nature des vêtements, le modèle de tente et les réchauds, tout est passé en revue dans l’anticipation d’une expédition où la moindre erreur signifie la mort. On en apprend beaucoup aussi sur les premiers héros de la conquête de l’Everest, dont le sommet restait inviolé à l’époque – si on s’en tient à l’incertitude qui entoure l’excursion de Mallory et Irvine, dont la dernière tentative a peut-être été couronnée de succès.
Le Diacre, présenté comme excellent alpiniste et héros de la Première Guerre Mondiale, invite Clairoux et le jeune narrateur à retrouver Percival Bromley, un alpiniste qui suivait, sans s’y mêler, l’expédition de Mallory et Irvine. Aux trois hommes s’associe la sœur de ce dernier, qui a depuis longtemps élu domicile dans la région. Tous tiennent à le retrouver pour des raisons tenues secrètes.
Le roman détaille de façon hyperréaliste l’ascension de l’Everest avec un prodigieux art du suspense. Le vent, le froid, le manque de sommeil, la raréfaction de l’oxygène qui altère le jugement, la difficulté de retrouver son chemin dans la neige, le long d’un parcours fait de crevasses, jusqu’à l’utilisation peu évidente d’un réchaud en altitude, figurent parmi les épreuves auxquelles sont confrontés les grimpeurs. Les longueurs de la première partie se justifient pleinement à la lecture de la deuxième.
La troisième partie prend un tour plus dramatique avec une course-poursuite hallucinante. Cependant, il eut mieux valu se contenter d’un MacGuffin pour justifier ce dernier volet plutôt que de laisser croire à un « secret encore plus abominable que toutes les créatures mythiques jamais imaginées », comme le stipule la quatrième de couverture, car celui-ci repose sur le sens galvaudé du terme, sans dimension fantastique à l’appui. Malgré les efforts pour faire avaler la pilule, la montagne accouche d’une souris. Connaissant les dimensions de celle-ci, la souris n’en paraît que plus ridicule, sans compter d’un sérieux manque de crédibilité, encore plus flagrant comparé à la rigueur documentaire du reste du récit. Sa cohérence pose aussi question : si ce secret est susceptible d’empêcher une bataille, pourquoi n’a-t-il pas été utilisé pour prévenir la guerre qui, déjà à cette date, se profile ? On ne s’attardera donc pas sur cette révélation qui gâche un formidable récit par ailleurs passionnant.
Dan Simmons, qui n’avait plus été traduit depuis quelques années, est attendu avec deux autres romans. Il faut espérer que ce grand conteur évitera les recours inutiles à l’imaginaire s’ils n’ont pas lieu d’être.