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Les critiques de Bifrost

L'Adjacent

L'Adjacent

Christopher PRIEST
DENOËL
500pp - 24,90 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

L’Adjacent est un joyau dont la forme et le fond se répondent, un polyèdre de coordination qui repose sur ses ligands. Autrement dit, en cristallographie, des éléments permettant la liaison, correspondant dans le roman aux différentes parties.

Le premier récit, « RIGB », semble être la facette centrale puisque toutes les autres histoires y renvoient, par réflexions directes ou images déformées. Dans un futur proche, la moitié de l’Europe est devenue inhabitable. Seules quelques rares bandes de zones tempérées demeurent dans les hémisphères nord et sud. Tibor Tarent, photographe, a perdu sa compagne Melanie en Anatolie orientale. Elle semble avoir été annihilée par une arme d’un nouveau genre qui a laissé au sol un triangle parfait de terre noircie. Tibor rejoint le Califat occidental de la République Islamique de Grande-Bretagne et se retrouve plus ou moins mis au secret. Cette première facette du récit se reflète dans, ou réfléchit, les parties « La ferme Wayne », « Le Sussex de l’Est », « La chambre froide » et « Le retour ». Il n’y a toutefois pas de correspondances parfaites entre les différentes faces narratives puisque l’on y décèle des « crapauds » comme on le dirait en joaillerie, des imperfections dans la trame des événements.

Une deuxième série de ligands est constituée par les deux récits de guerre : « La rue des bêtes » et « Tealby Moor ». Le premier, à l’amorce qui renvoie par reflet au début de « RIGB » se déroule en 1916. Durant un long voyage en train qui leur fait traverser une France meurtrie par la guerre, l’illusion-niste Thomas Trent fait connaissance avec le célèbre H.G. Wells. Les talents de chacun sont réclamés par l’effort de guerre. Trent évoque « l’adjacence » comme une illusion de music-hall, tandis que l’appareillage mis au point par Wells ne paraît pas convaincre mais trouve son effectivité dans une autre partie du roman, et donc sur une autre face de la réalité : « Le Sussex de l’Est ». La structure en ligands du roman permet ainsi de passer d’un récit à l’autre, le squadron 17 de « La rue des bêtes » annonce le squadron 148 de « Tealby Moor » cette fois-ci engagé en 1943 dans le second conflit mondial. Torrance, mécanicien d’avion, connaîtra un début de romance avec la pilote Krystyna Roszca avant qu’elle ne disparaisse.

Celle-ci paraît se refléter dans le personnage de Kirstenya, personnage du troisième ligand centré sur « Prachous », récit se déroulant dans l’univers de L’Archipel du rêve. Il y est aussi question de l’illusionniste Tomak Tallant, l’une des faces du polyèdre constitué par Tarrant, Torrance etc. dont l’équivalent féminin se décline en facettes Melanie, Malina et Mallin.

On l’aura compris, présenter sous forme linéaire une œuvre constituée de facettes équivaut à photographier un cristal. On ne capture que quelques surfaces planes d’un objet à plusieurs dimensions, qui plus est transparentes, dont les reflets se mêlent ou s’annulent par déformation prismatique. Bayswater et Notting Hill paraissent être dans tous les récits des attracteurs de changements. Adjacente est une île dans « Prachous », tout comme l’île de Cahthinn qui renvoie au massacre des officiers polonais à Katyn par les forces soviétiques évoqué dans « Tealby Moor ». L’île d’Adjacente fait écho au phénomène d’adjacence décliné dans différents récits. D’abord un point de lumière en hauteur qui se fragmente en trois directions avant de frapper le sol en un « téraèdre d’annihilation quantique » dans « Le Sussex de l’Est ». En reconstituant l’origine du phénomène à travers les différentes lignes narratives, contradictoires, il paraît être le fait de Thijs Rietveld, un universitaire, spécialisé dans la physique théorique, notamment « le champ adjacent perturbatif » qui permet le déplacement vers des dimensions quantiques voisines.

De fait, Priest alterne les facettes d’un récit à la fois identique et changeant. La trame narrative est constamment modifiée par différents procédés : changements internes dans une même durée, superposition d’événements, déroulements compossibles, présences alternatives.

Mieux, L’Adjacent est comme un bijou taillé par le romancier pour refléter les différentes facettes de son œuvre. H. G. Wells, référence majeure du Priest écrivain et lecteur, renvoie à La Machine à explorer l’espace, mais aussi dans son inspiration aux très belles nouvelles « L’Eté de l’infini » et « Et j’erre solitaire et pâle ». Les présences évanescentes de certains personnages font nécessairement penser au Glamour. Le chef d’escadron Sawyer qui apparaît dans « Tealby Moor » est l’un des héros de La Séparation. « La rue des bêtes » et « Prachous » font référence non pas au Prestige, mais à ce qui a motivé l’écriture du roman, tel que Priest le raconte dans Magie, histoire d’un film. Dans « La chambre froide », il est question de la tempête Graham Greene. « Je n’ai jamais rien lu de Graham Greene », déclare le héros avant de se reprendre, cela quand on sait l’admiration que lui voue Priest, notamment pour son autobiographie, Une sorte de vie.

L’Adjacent s’impose ainsi comme le roman de la coordinence, dans son économie interne et par réflexion d’une vie entièrement dévolue à l’écriture. Il ravira les lecteurs de Priest mais ne constitue donc pas forcément la meilleure entrée pour découvrir son œuvre.

Reste, cependant, quelle que soit la vision du prisme, une magnifique histoire d’amour, probablement l’un des récits les plus touchants de Priest, admirable et prenant jusqu’à son extrême conclusion.

Xavier MAUMÉJEAN

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