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Les critiques de Bifrost

L'Affaire Crystal Singer

Ethan CHATAGNIER
ALBIN MICHEL
20,90 €

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

Premier roman traduit en France d’Ethan Chatagnier, cette Affaire Crystal Singer est à la fois une affaire de ma­thé­matiques vertigineuse et une forte histoire d’amour. L’équilibre des maths et l’asymétrie des relations humaines permettent déjà d’établir un parallèle narratif intéressant, mais l’auteur y ajoute de la vie sur Mars – ce qui vient totalement chambouler l’approche des équations.

Se basant sur les théories de l’époque de Schiaparelli et Perci­val Lowell, le point de divergence avec notre réalité prend place en 1896, quand des signes sont iden­tifiés à la surface de la planète rouge. S’ensuit une ébullition scientifique et le début d’un dialogue – mais en est-ce vraiment un ? La méthode de communication s’avère pour le moins spectaculaire : pour former les symboles, on creuse d’immenses tranchées dans des zones désertiques, que l’on enflamme lors des périodes d’opposition avec Mars – tous les deux ans environ, en somme. Voilà qui donne un rythme particulier à la discussion !

Quand l’échange interplanétaire se fige, après une incapacité humaine à trouver la réponse à une équation, la patience se tarit et l’intérêt pour ces voisins inconnus et peu diserts diminue. Jusqu’à ce qu’une troupe de thésards s’engage, avec culot et détermination, sur les routes étatsuniennes au tout début des sixties, avec le bouillant espoir d’une solution. Crystal Singer est la plus brillante, celle qui entraîne intellectuellement le grou­pe ; Rick est l’architecte du projet. L’amour de ce dernier pour elle est au centre du livre, et les différents re­bondissements viendront mettre à l’épreuve l’endurance de cette passion.

Narré à la première personne par Rick, le roman alterne entre différents passés, principalement de 1960 à 1973. Des incursions plus anciennes viennent détailler l’histoire des protagonistes ou des échanges avec Mars. Les transferts d’époques sont extrê­mement fluides et le récit est solidement construit. Ces sauts temporels et permanents dans les deux premiers tiers agissent comme des clins d’œil à la grande question martienne de la dis­tance.

Ainsi, le roman propose des réflexions sur les distances, phy­siques comme émotionnelles, et leur « relativité ». Dans ce pays à la largeur de continent, à cette époque où la lettre reste un moyen de communication privilégié, l’éloignement n’en est que plus palpable. Alors que les kilomètres défilent et que les haltes se succèdent, de beaux morceaux de sagesse surgissent et parsèment les pages, comme la substantifique moelle extraite de ces interminables trajets. En fin de compte, on navigue du récit de premier contact au road-trip, en passant par l’enquête, avec toujours cette histoire d’amour en toile de fond.

L’éditeur n’a pour une fois pas respecté sa règle de ne rien dévoiler dans la quatrième se produisant au-delà de la quarantième page. De fait, si ce livre vous tente, lancez-vous sans y jeter un œil ! C’est la garantie d’un bon moment de lecture, où le vertige se niche sur une feuille de papier, griffonnée à la va-vite, au creux d’une équation mathématique.

Mathieu MASSON

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