Michal AJVAZ
MIROBOLE
22,00 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
En 2015, l’étonnant roman de Michal Ajvaz, L’Autre ville, était passé sous le radar bifrostien. Déambulation onirique et surréaliste dans une Prague à mille lieux de la capitale devenue trop touristique, ce troisième roman de son auteur (et premier à paraître en français) avait été récompensé par un Prix Européen des Utopiales. Deux ans plus tard, les éditions Mirobole ont publié son huitième roman (et donc deuxième à paraître en français), L’Âge d’or.
Bien après son retour à Prague, le narrateur du présent livre propose au lecteur une excursion sur une île égarée, sans nom, quelque part entre le Cap-Vert et les Canaries. Une île autre, si l’on se fie au titre original du roman (« L’Autre Île »). Drôle de bout de caillou, pas spécialement exotique ni paradisiaque, où les colons européens n’ont jamais réussi à imprimer durablement leur marque. Chez ses habitants autochtones, tout est fluctuant : l’identité, les noms, la langue, l’écriture, la gastronomie… Le hasard, les accidents, les erreurs, tous y sont essentiels. Les maisons ont des parois d’eau ; on cuisine sans feu, en laissant macérer les aliments. Le roi de l’île, élu, ne sert à rien ; les lois passent par le bouche à oreille, se déforment avant de revenir, peut-être, à leur aspect initial. Une utopie ? Si l’on veut. Le narrateur, exaspéré, a fini par quitter l’île.
Et puis il y a le Livre : l’unique livre de la culture de cette île, ouvrage collectif n’ayant rien à envier au Livre de sable borgésien. Dans ce livre qui se transmet de lecteur en lecteur, chacun est libre d’ajouter ou retrancher des pans de l’intrigue ; c’est un palimpseste insensé et foisonnant dont les récits s’enchâssent et jettent des passerelles entre eux, où chaque détail est susceptible de faire l’objet d’une longue digression. Et, peu à peu, le guide de voyage de cette île perdue se mue en retranscription de quelques-uns des récits composant ce Livre – des récits puisant au creuset des mythes et légendes, avec des princes et des princesses, des joyaux, des secrets, des vengeances, tour à tour drôles, grotesques ou effrayant – jusqu’à finir par prendre l’apparence du Livre en question, le narrateur se jouant de son lecteur. On pourrait comparer cet aspect de L’Âge d’or au Jardin des sept crépuscules de Miquel de Palol, qui n’a pas à rougir sous l’aspect du foisonnement et de l’enchâssement des récits, ou aux Insulaires de Christopher Priest, mais ce ne serait pas rendre justice au récit du Tchèque : Ajvaz a sa singularité, à nulle autre pareille – et donc précieuse.
Porté par une langue exquise et évocatrice, L’Âge d’or ne laisse d’intriguer. Foin d’exotisme facile mais dépaysement assuré. Au lecteur de décider s’il accepte de lâcher prise et d’être emporté par la prose onirique de Michal Ajvaz. Même s’il peut en laisser certains sur le bord du chemin, ce voyage vaut le détour.