William Francis NOLAN, George CLAYTON-JOHNSON
J'AI LU
352pp - 18,00 €
Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95
Depuis sa création, la collection « Nouveaux Millénaires » a consacré une part non négligeable de son programme éditorial au dépoussiérage de classiques figurant au catalogue J’ai Lu : la quasi-totalité des romans de Dick, bien sûr, mais également des œuvres signées Simak, Vance, Harrison et quelques autres. C’est au tour de L’Âge de cristal et de sa suite de bénéficier d’une nouvelle traduction. À la (re)lecture, une question s’impose : était-ce bien nécessaire ? Voire même seulement raisonnable ? Certes, le titre a connu son heure de gloire dans les années 70, avec une adaptation au cinéma en 1976, laquelle a eu suffisamment de succès pour donner naissance, l’année suivante, à une brève série télé et une encore plus brève série de comics chez Marvel. Quarante ans plus tard, ces différentes versions peuvent au mieux espérer éveiller une douce nostalgie auprès d’un public plus très jeune.
L’Âge de cristal a pour lui la simplicité de son accroche : au début du xxiie siècle, pour lutter contre la surpopulation et le manque de ressources, la durée de vie de l’ensemble de la population est limitée à 21 ans. À la naissance, chaque individu se voit greffer dans la paume de la main un cristal qui changera de couleur au fil des ans, jusqu’à devenir noir, signifiant à son propriétaire qu’il est temps pour lui de rejoindre une Boutique du Sommeil. Si la grande majorité de la population accepte son sort sans broncher, il s’en trouve toujours quelques-uns pour refuser cette mort programmée et tenter de rejoindre le légendaire Sanctuaire où, dit-on, il est permis de vieillir. Ces fugitifs sont pris en chasse et impitoyablement éliminés par les Limiers, chargés de faire respecter la loi coûte que coûte. Logan fait partie de cette police, et n’a jamais remis en question son rôle dans la société. Jusqu’au jour où, à son tour, son cristal s’assombrit.
Les premières pages de L’Âge de cristal ne sont pas inintéressantes. Nolan et Johnson y mettent en scène un monde très marqué par son époque, dans lequel on navigue d’un bordel psychédélique à une galerie commerciale entièrement dédiée aux drogues. Les auteurs ne prennent pas le temps de décrire en détail le fonctionnement de cette société, mais le survol que l’on en fait donne à voir une utopie hédoniste dans laquelle on se noie dans le sexe et les paradis artificiels en attendant la mort. Live fast, die young.
Puis Logan décide de s’enfuir en compagnie de Jessica, la sœur d’un fugitif qu’il était chargé de traquer. Et aussitôt le roman part en couille. Nolan et Johnson lancent leurs héros dans une course sans queue ni tête à la recherche du Sanctuaire, enchainant les péripéties grotesques et les mésaventures navrantes. Parmi les mauvaises rencontrent qu’ils accumulent, des prisonniers cannibales psychopathes détenus au pôle Nord, un ermite cyborg psychopathe tailleur de glace, des gitans psychopathes, des mômes psychopathes, un ordinateur psychopathe, sans oublier divers autres… psychopathes. Autant d’épisodes répétitifs, bâclés en quelques pages, sans une once d’intelligence ou de subtilité. Logan et Jessica ne sont que des pantins ballotés d’une menace à l’autre, sans la moindre épaisseur. Et pour couronner le tout, Nolan et Johnson écrivent avec leurs genoux, ne rechignant pas à enquiller les adjectifs redondants et les métaphores foireuses à longueur de pages. Bref, si l’on fait abstraction des scènes de sexe et de violence qui parsèment le texte, on se trouve face à un médiocre sérial des années 30 comme les pulps de l’époque en publiaient à la chaine.
Aussi désolant que soit L’Âge de cristal, sa suite réussit pourtant l’exploit d’être encore pire. Écrit suite au succès obtenu par son adaptation ciné, Retour à l’âge de cristal se situe dix ans plus tard. Logan et Jessica, désormais heureux parents d’un petit Jaq, redécouvrent le monde qu’ils ont quitté et qui, entre temps, s’est effondré. Les auteurs, déjà à cours d’imagination, se contentent pour l’essentiel de revisiter les lieux du précédent roman et de constater les dégâts. En guise d’intrigue, une histoire de vengeance : Logan se lance à la poursuite des bikers (psychopathes, bien entendu) qui ont kidnappé sa femme et tué son fils. Autant le premier récit se déroulait sur un rythme frénétique, autant celui-ci progresse laborieusement, tire à la ligne pour allonger à la taille d’un roman une histoire qui n’en méritait pas tant. Jessica y est encore plus inexistante, son rôle principal consistant à être torturée et violée par ses ravisseurs. À l’inverse, Logan, plus viril que jamais, mène son enquête à grands coups de quéquette, qu’il sort plus souvent que son flingue. Spoiler alert : à la fin, tous les méchants meurent et c’est bien fait pour eux.
Bref, l’intérêt de rééditer — pire encore, de retraduire ! — une bouse pareille m’échappe. Ceci dit, ça aurait pu être pire : le troisième tome de la série, Logan’s search, est toujours inédit en France. Par pitié, qu’il le reste !