Neal STEPHENSON
LIVRE DE POCHE
636pp - 8,10 €
Critique parue en mars 1999 dans Bifrost n° 12
Imaginez un instant un monde où la nanotechnologie (vous savez, cette « science du minuscule » qui est capable de produire des robots d'une taille atomique) est omniprésente et offre des possibilités quasi illimitées. Ne serait-ce pas formidable ? Ce n'est visiblement pas l'avis de Neal Stephenson. Car à la lecture de L'Age de diamant, il devient très vite évident que la société qu'il y décrit, fort plausible au demeurant, est loin d'être une douce utopie.
Dans une Chine devenue mondialement dominante et un Shanghai plus cosmopolite que jamais, les ethnies se côtoient avec plus ou moins de bonheur. On rencontre ainsi la tribu des Ashantis, très soudée et susceptible, ou bien encore les néo-Victoriens mordus du mode de vie anglais fin XIXe, mais bardés de technologie. John Hackworth, ingénieur néo-Victorien justement, doit livrer à son employeur, Finkle-McGraw, Lord actionnaire de la puissante Machine-Phase System Limited, le fruit de son labeur : un livre à la pointe de la technologie, véritable usine à enseigner miniature que McGraw destine à sa fille. Lors d'une tentative de vol d'une copie du livre afin de l'offrir à son propre enfant, aidé en cela par l'énigmatique Dr X, Hackworth est victime d'une agression. Et voilà que le « Manuel illustré d'éducation pour jeunes filles » atterrit dans les bas-fonds, et plus précisément entre les mains de Nell, fillette en butte aux agressions sexuelles de son « beau-père ». Et les pages magiques commencent bientôt à raconter des contes de fée...
Sur fond de mouvements minuscules des millions de machines nanotech en guerre, et de ceux des gigantesques aéronefs des multinationales, la jeune fille s'éveille à la vie au travers d'univers virtuels de plus en plus élaborés générés par le livre. Mais le Dr X a gardé le code source de l'ouvrage, et il compte bien s'en servir. Et comme « à bonnes connaissances, rien d'impossible », tout finira par changer, jusqu'à embraser la société entière.
C'est sûr, l'auteur s'en donne à cœur joie et ses trouvailles technologiques ne sont rien moins que vertigineuses (vraiment, la nanotech, ça sert à tout !). À mentionner, pour mémoire : les « mites » (entendez les nanotechs) se déployant en un nuage sous copyright appelé le « toner » et dont il faut se méfier comme de la peste ; des implants frontaux lançant des micro-projectiles ou bien rendant les coups de boules mortels ; le papier rnédiatron animé, dont on peut même faire des paquets cadeaux... Mais Stephenson ne tombe pas dans le piège grossier d'une énumération de trouvailles science-fictives sans fondement, bien au contraire. Si son univers est riche, ses personnages le sont tout autant et rivalisent de réalisme. On s'attache, on aime ou déteste. Enfin, l'aspect du « livre dans le livre » ajoute un autre niveau de lecture et confère une dimension nouvelle au récit.
Seule ombre au tableau : si le développement narratif du récit est fort justement mené, la fin du texte est quelque peu décevante et certaines trames développées auparavant ont du mal à trouver leur conclusion. Mais qu'on se rassure : le contenu global de L'Âge de diamant fait vite oublier ce bémol et sa lecture reste incontestablement jubilatoire. Somme toute un bien beau prix Hugo 1996, doublé pour la présente édition de poche française d'une superbe couverture signée Manchu. À lire.