Karen THOMPSON WALKER
PRESSES DE LA CITÉ
336pp - 19,90 €
Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68
Un jour, la rotation de la Terre a progressivement ralenti. Les premières conséquences sont bénignes, jusqu’à ce qu’il faille réévaluer les horaires de travail, des transports, avec les problèmes d’organisation sociale qu’on imagine…
Les conséquences sont examinées par le petit bout de la lorgnette, à la première personne, à travers les yeux d’une adolescente renfermée qui observe les bouleversements au sein de sa communauté et de sa famille, à commencer par sa mère, catastrophiste, qui vit mal les changements imposés par l’allongement des jours et des nuits — son père, chirurgien, n’a aucun mal à s’adapter à des horaires décalés. Elle voit aussi des amies changer et s’éloigner, voire déménager pour affronter une éventuelle fin du monde.
Pour faire face aux désordres s’installant un peu partout, le gouvernement américain rétablit une journée artificielle de vingt-quatre heures, la population se couchant quand le soleil est au zénith et effectuant ses activités de nuit jusqu’à ce que les cycles coïncident à nouveau pour une durée toujours plus brève. Journée arbitraire à laquelle se dérobent, malgré les pressions parfois violentes du voisinage, les réfractaires préférant suivre le rythme circadien dans sa dérive, jusqu’à se déconnecter de la vie sociale. Le ralentissement provoquant une légère augmentation de la gravité, les oiseaux sont les premières victimes, lors de vols mal contrôlés ; les athlètes voient leurs performances baisser et un syndrome affecte les personnes, provoquant brefs évanouissements, pertes de repères, puis des symptômes plus graves ; la flore, surtout, a du mal à s’adapter aux journées étouffantes et aux nuits glaciales, de sorte que seules les cultures sous abri et lumière artificielle préservent un semblant d’agriculture… jusqu’à ce que les coupures d’électricité se multiplient, que la neige tombe en soirée et que le changement d’intensité du champ magnétique terrestre provoque des perturbations exposant la civilisation du tout-électrique aux éruptions solaires et à ses mortelles radiations que rien ne dévie plus…
Cette histoire de fin du monde, assez exacte sur le plan scientifique (quoique nettement exagérée, selon notre professeur Lehoucq, en ce qui concerne la gravité), reste trop centrée sur les seuls Etats-Unis : il semble déjà douteux que le temps de réaction nécessaire pour isoler et éclairer artificiellement les cultures suffise à sauver l’agriculture du pays, mais il est certain que bien des régions du globe, faute de ressources énergétiques suffisantes, ont cessé leurs exportations ou connu la famine. Mais il faut garder à l’esprit que c’est une adolescente encore peu ouverte sur le monde qui raconte (à ce titre, L’Age des miracles est d’ailleurs proposé en librairies par l’éditeur au rayon littérature, mais aussi jeunesse, et ce sous deux couvertures différentes). L’impact planétaire n’est qu’un vague bruit de fond qui ne prend consistance que lorsque des mesures concrètes sont décrétées. En revanche, les changements sont observés au niveau des relations familiales et de l’entourage, la prof de piano progressivement recluse, le grand-père se préparant au pire, et la perte des amies d’enfance concomitamment à l’éveil sexuel.
Moins qu’un récit de science-fiction centré sur les conséquences sociales d’un tel bouleversement, ce roman est la métaphore de la perte d’un monde, celui de l’enfance, et les perturbations de l’adolescence, quand la gravité affecte le corps devenu plus gauche et les sentiments, alors que l’adulte s’enfonce progressivement vers des plages de temps toujours plus longues et pesantes, jusqu’à l’extinction. Une lecture agréable, malgré cette perspective légèrement gauchie aux yeux des puristes, pour les qualités d’écriture, et le portrait psychologique d’une adolescente, tout en finesse et d’une grande intensité à la fois.