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Les critiques de Bifrost

L'Aigle et le Dragon

L'Aigle et le Dragon

Avril SUTTER
NESTIVEQNEN
24,00 €

Bifrost n° 30

Critique parue en avril 2003 dans Bifrost n° 30

Il y a parfois (souvent ?) en fantasy féminine de bien désagréables surprises, des livres dont on n'aurait même pas imaginé l'existence, des livres auprès desquels le scénario du Cinquième Élément ferait figure de référence en matière de maturité dans le monde de la S-F, des livres que même Marion Zimmer Bradley aurait refusé de dédicacer à son coiffeur contre une coupe au bol gratuite…

En voici un.

Avril Sutter a 19 ans, et on la présente essentiellement sous cet angle. Il fallait au moins jeter une nouvelle petite prodige dans l'arène des littératures de genre pour faire avaler à un lecteur, déjà fort usé, les quatre cents cinquante pages d'une prose plus que douteuse. Et pourtant, il semblerait qu'elle ait du talent, à l'origine… Mais un talent gâché par de mauvais conseils, des erreurs grossières que personne ne lui a signalées, des maladresses tout à fait justifiables pour un si jeune auteur, impardonnables pour un éditeur. Las.

Une guerre oppose deux pays : à ma gauche la princesse Séréna, dite princesse qui a la ferme intention de réduire à néant l'Astolistie, le royaume du prince Gilian à ma droite. En dépit des apparences, il ne faut pas s'attendre ici à une succession de combats. L'intrigue reste, disons, psychologique, bien qu'un tel adjectif mériterait d'être redéfini spécifiquement pour L'Aigle et le dragon. Ici, on allonge les profils à plaisir. On se perd dans des caractères antagoniques, taillés à la hache. Il y a de la présomption, de la revendication féminine : être une femme dans un monde de brutes en armure, ce n'est pas simple, il faut avoir des tripes. Avril Sutter le prouve. Dans le top ten des dialogues de ce roman à la narration pseudo médiéviste, on retrouvera, par exemple : « je te crache à la gueule, pauvre con » ; « tu hallucines, mon vieux » ; « fais comme tu le sens » ; « … une toute autre sorte de beauté, les cheveux défaits et vêtue de ses dessous de satin noir »… Inutile de lever un sourcil intéressé. On vous l'a dit, ce n'est pas simple d'être une femme. Les amours sont malheureuses et la sexualité, une arme ou une torture.

Car chez Sutter, on viole mais on ne s'attache pas. Ce qui est fort dommage. On pourrait espérer qu'une fois casés et épanouis, avec de bons gros marmots morveux accrochés au velours de la robe, pour rester dans le cliché, les personnages féminins disparaissent une fois pour toutes pour laisser place à une véritable action. Peine perdue, ce dont on s'aperçoit d'ailleurs dès la page 17, lorsqu'on apprend que « les femmes des nobles, plus frigides que jamais, s'inquiètent à l'idée des pillages et des viols ». On en reste muet.

« Il y a toujours quelque chose derrière les masques que nous portons », note un des protagonistes, la queue basse et l'esprit en alerte. Très sage remarque. Il serait effectivement agréable qu'on ne fasse plus injure aux lecteurs de fantasy en leur présentant des auteurs comme de « grands érudits en littérature médiévale », lorsqu'on leur impose un style aussi pauvre et un tome entier de verbiage de cours de lycée entrelardé d'anachronismes, qui plus est à un prix outrancier.

Anne FAKHOURI

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