Jerry Sohl fait partie de ces auteurs américains d’après-guerre largement oubliés aujourd’hui. De la douzaine de romans qu’il a écrits, la plupart dans les années 50, seuls La Révolte des femmes (Le Rayon Fantastique, 1954) et le thriller Sommeil de mort (Presses de la Cité, 1984) ont été traduits chez nous. Ainsi donc que cette Aiguille de Costigan, dont c’est la troisième édition française en un peu plus d’un demi-siècle (les précédentes, sous le titre de L’Invention de Costigan, furent publiées dans des collections pour la jeunesse).
Le roman est composé de deux parties nettement distinctes. Dans la première, on découvre la fameuse invention du professeur Winfield Costigan, une machine ouvrant une porte vers… ailleurs. Monde lointain ou univers parallèle ? Impossible de répondre sans y envoyer quelqu’un, seuls les organismes vivants pouvant franchir le seuil (ceux qui s’essaieront à y passer la tête y laisseront d’ailleurs leurs plombages). Et les premiers courageux à s’y risquer ne semblent pas être en mesure de faire le chemin en sens inverse. Entre interrogations sur la nature et les capacités de l’appareil, vaines tentatives de cacher aux autorités les premières disparitions, puis interventions de quelques fous de Dieu jugeant cette expérience blasphématoire, on n’a guère le temps de s’ennuyer. La seconde moitié du récit, tout aussi réussie, se déroule de l’autre côté, et oblige ses protagonistes à mettre en œuvre toutes leurs connaissances technologiques et scientifiques, d’abord pour survivre, puis pour rebâtir une civilisation, avec toujours en ligne de mire l’espoir de regagner leur monde d’origine.
À certains égards, L’Aiguille de Costigan marque le poids des ans, à commencer par le rôle auquel y sont reléguées les femmes ou le côté caricatural de bon nombre de personnages. Ces quelques réserves mises à part, il s’agit d’un récit fort agréable à lire, rythmé et inventif. Jerry Sohl ne s’embarrasse pas de la moindre explication pseudo-scientifique pour justifier l’invention de Costigan, allégeant ainsi son récit de nombreuses digressions inutiles. Surtout, dans la seconde partie, il sait admirablement faire vivre la petite communauté qu’il met en scène, jusqu’à les amener à se questionner sur leur nouvelle situation, comparée à celle qu’ils ont connu autrefois. Malin jusque dans sa résolution, L’Aiguille de Costigan est un roman certes mineur, mais un indéniable plaisir de lecture.