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Les critiques de Bifrost

L'Alliance des Trois

L'Alliance des Trois

Maxime CHATTAM
ALBIN MICHEL
496pp - 20,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

La carrière de Maxime Chattam a commencé en 2003 avec Le Cinquième règne (Prix du roman fantastic'arts du festival de Gérardmer). L'auteur a ensuite enchaîné chez Michel Lafon — La Trilogie du mal (L'âme du mal, In Ténébris, Maléfices), de la littérature de gare correcte (même si ridicule par endroits) —, puis il s'est mis au « thriller à la française » chez Albin Michel : Le Sang du temps, Les arcanes du Chaos… Des livres de plus en plus torchés/mauvais, il faut bien le reconnaître.

Avec un opportunisme que l'on pourrait juger émétique (mais pour ça, il faudrait avoir mauvais fond), Maxime Chattam quitte les plates-bandes de Jean-Christophe Grangé pour se lancer dans la fantasy avec Autre-monde (prévu en trois volumes d'abord, en sept au final, un peu comme La Tour Sombre de Stephen King).

L'histoire…

Après une tempête qui transforme les humains en mutants répugnants (ou les fait disparaître), deux garçons américains, Matt et Tobias, fuient le décor carton-pâte de leur enfance (le New York selon Maxime Chattam) pour une île où vivent soixante-quinze enfants de neuf à dix-sept ans qui se sont surnommés les Pans et se sont organisés pour survivre, car ils ne manquent pas d'ennemis… Là, les deux garçons vont faire la connaissance d'Ambre et, grâce à leurs supers pouvoirs, l'alliance des trois va pouvoir vivre une super grande aventure. Yeah !

La première chose que l'on puisse dire de ce volume d'ouverture, c'est qu'il ne contient pas l'ombre d'un murmure d'un soupçon de style (c'est bien simple, je crois sans mentir qu'Henri Lœvenbruck et même Alexis Aubenque écrivent mieux) ; si on enlève le remplissage (dialogues qui ne servent à rien, descriptions qui ne montrent rien, péripéties qui figent l'intrigue, phrases qui ne veulent rien dire), il doit rester environ 13% du texte total (qui, comme il se doit, ne valent pas une page de Sa Majesté des mouches de William Golding). Sans style approprié, un livre de genre ne tient pas, parce qu'on n'y croit jamais ; voilà exactement ce qui se passe à la lecture de ce volume (inter)minable, semé de phrases qui ne veulent rien dire en français (ni dans toute autre langue, d'ailleurs). On n'y croit jamais, donc, mais on rigole beaucoup, même si c'est rarement avec l'auteur — à part peut-être la scène du meurtre du caniche. On remerciera d'ailleurs l'éditeur qui, en laissant cinq centimètres de blanc au-dessus du texte, nous permet de faire des petits dessins, des commentaires, des morpions.

Sur le plan du fond (qui demande autant, si ce n'est davantage, de coffre que le style), Autre-monde est une décharge culturelle traversée par un répugnant torrent de niaiseries (c'est bien simple, on dirait du Roland Emmerich en moins bien foutu, alors que les effets spéciaux sont gratuits en littérature) ; on peut difficilement comprendre comment un auteur qui vend, qui a de l'argent, donc du temps, s'attaque aux thématiques passionnantes de Peter Pan et des X-men sans y avoir réfléchi ne serait-ce que quinze minutes sous la douche. Bien écrire sur les enfants demande un sacré talent ; Serge Lehman l'a prouvé avec « L'Inversion de Polyphème » (in Le Livre des ombres), suivant la voie ouverte par d'augustes prédécesseurs tels que John Wyndham (Le Village des damnés/Les Coucous de Midwich), Chocky), Jules Verne (Deux ans de vacances), William Golding (Sa Majesté des mouches, déjà cité) ou l'incontournable Stephen King. Maxime Rastignac Chattam a probablement du talent, mais pas celui-là.

Le marketing à outrance dont a bénéficié un tel navet (film promotionnel, publicités pleine page, site dédié, etc.) pose une fois encore la question de la critique littéraire en France (question qui me taraude chaque fois que les médias se penchent sur un livre de Bernard Werber, en disent du bien et oublient de noter que c'est écrit avec l'élégance de l'étron au fond de la cuvette et que, sur le simple plan de l'idée, c'est d'un vide abyssal). À ma connaissance, aucun journaliste encarté ne s'est donné la peine de pondre un papier pour dénoncer ce crime contre la littérature populaire qu'est « Autre-monde ». Par conséquent, la critique française « établie » laisse insidieusement planer l'idée que dans notre société, le marketing a plus d'importance que la valeur littéraire, et que la pertinence d'un produit culturel peut aussi se calculer à l'aune de la richesse qu'il crée. Que le marketing attaque à la base la nécessaire hiérarchisation des auteurs est inévitable (c'est son but réel !) ; que les critiques littéraires se rendent complices du phénomène ne l'est pas, c'est même criminel !

Livre que personne ne s'est donné la peine de diriger chez Albin Michel (car le succès commercial pèse là-bas infiniment plus que la valeur littéraire, semble-t-il), Autre-monde est le zéro absolu de la littérature de genre, une grosse tranche de rien, une bulle de vide nauséabond à destination des adolescents qui évoque les inénarrables navets de Bernard Werber et les davinciconneries d'Henri Lœvenbruck.

Si on devait définir cette anti-littérature en une seule formule, je dirais que c'est une saga de Stephen King rédigée par Oui-Oui.

Fuyez, pauvres fous ! hurle le fantôme de Tolkien. Comme il convient de fuir devant une coulée de blob. Et surtout, ne donnez pas ça à lire à vos gamins !

(Il existe un Autremonde signé Tad Williams qui, lui, relève pour le moins de la littérature populaire de qualité. On ne peut que vous conseiller celui-là).

Thomas DAY

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