Aux éditions Mnémos, le label Mu achève son année 2022 avec un texte qui témoigne une fois de plus du goût prononcé de la collection pour les récits oniriques et les ambiances éthérées, dans lesquels il est d’abord nécessaire de renoncer aux repères habituels pour apprécier le voyage. Cette absence délibérée d’ancrage, qui brouille jusqu’aux codes du genre — est-ce encore de la fantasy ? – n’est d’ailleurs pas sans rappeler la démarche de Michael Roch dans Le Livre jaune, roman inaugural du label.
Antoine Ducharme signe ici une novella en guise de premier roman, un récit dont le style coupé retranscrit efficacement l’entêtement avec lequel Klane, choisi pour être le bras armé de la prophétie en marche, embrasse le destin prédit par un oracle. L’auteur situe le cœur de sa réflexion dans le parcours de ce guerrier à l’âme de chien, qui n’a d’abord d’autre horizon que celui de faire advenir un destin qu’il croit déjà écrit, avant d’y briser à la fois son corps et son âme. Ainsi le rythme s’ajuste parfaitement à son état d’esprit : dans un premier temps effréné, Klane enchaînant des victoires qu’il ne semble percevoir qu’avec un détachement d’automate, le récit en vient à basculer, et son héros avec, dans une sorte de flottement. Le tour que prennent les évènements finit bien évidemment par déstabiliser les protagonistes, privés des mots de leur oracle et désormais condamnés à prendre leur destin en main, à questionner le sens de leurs actes.
Il y a au premier plan, comme chez Michael Roch, là encore, le récit d’un avant et d’un après. Un apprentissage chèrement acquis, le conte d’un voyage aux tréfonds de soi duquel l’être revient définitivement transformé. Klane semble s’éveiller à la vie comme d’un long sommeil et, déjà, il est ailleurs, il est autre. Ni ses hommes ni son maître ne le comprendront plus, et toute la beauté de son chemin réside dans ce lâcher prise : en se découvrant lui-même il découvre la paix, là où tous font encore la guerre.
Mais il y a également, au second plan, un auteur qui se joue de la prophétie située au fondement des premiers évènements de sa geste. En s’intéressant tour à tour à ce que chacun de ses personnages a fait de la prophétie et fera de la tournure des évènements, Antoine Ducharme interroge les oracles eux-mêmes : depuis le crédit qui leur est accordé jusqu’à la façon dont sont comprises les prophéties énoncées… ou pas. En fin de compte, oracles et prophéties n’en disent-ils pas plus sur ceux qui s’y fient que sur l’avenir qu’elles promettent ? Cette proposition, un rien introspective, s’offre au lecteur dans un récit aussi agréable que poétique. Un auteur à suivre, assurément.