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Les critiques de Bifrost

L'Amicale des jeteurs de sorts

Lucie CHENU, Claude MAMIER, Jean-François SEIGNOL, Robert DARVEL, Bénédicte COUDIÈRE, Julien HEYLBROECK, Laurent FETIS, Jacques FUENTEALBA, Anthelme HAUCHECORNE, Ketty STEWARD, Laurent MANTESE, Simon SANAHUJAS, Christian PERROT, Jan THIRION, Roma
MALPERTUIS
344pp - 16,00 €

Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71

Après les éditions Griffe d’Encre l’an dernier et la très réussie Destination univers, c’est au tour des éditions Malpertuis de publier l’anthologie officielle du festival Zone Franche, qui s’est tenu en février dernier à Bagneux. Première différence de taille : là où Jeanne-A. Debats et Jean-Claude Dunyach avaient opté pour une sélection resserrée (huit textes, dont une moitié signée par de jeunes auteurs), Thomas Bauduret et Christophe Thill ont au contraire fait le choix de l’opulence, et L’Amicale des jeteurs de sorts affiche pas moins de vingt-quatre nouvelles à son sommaire.

La plupart de ces textes mettent donc en scène sorciers, magiciens et autres jeteurs de sorts, avec la volonté affichée en préface d’éviter les stéréotypes généralement liés à ce type de personnages et de récits. De ce point de vue, le choix d’ouvrir l’anthologie avec « L’Eau pure » de Lucie Chenu est à peu près le pire possible. Non que la nouvelle en question soit mauvaise, mais il s’agit d’une sorte de conte moral à l’ancienne, tout à fait désuet, tant sur le fond que sur la forme.

De manière générale, les nouvelles au sommaire de cette anthologie sortent assez peu des sentiers battus. Dans le meilleur des cas, leurs auteurs revisitent quelque conte célèbre (l’histoire du Petit Chaperon Rouge revue et corrigée par Ketty Steward) ou prolongent quelque œuvre fameuse (Claude Mamier jouant avec les personnages du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare). Trop souvent, ils ne font qu’enfiler les perles et alimentent à grands coups de clichés des récits d’une vacuité absolue, ou signent des nouvelles à chute qui pouvaient faire sourire du temps des pulps mais qui, aujourd’hui, ont pris un méchant coup de vieux.

Et puis, de temps en temps, on a tout de même de belles surprises. C’est « La Nuit où tu m’aimeras » de Jean-François Seignol, où la sorcellerie se danse sur un air de tango ; c’est la magie qui se terre dans un vieux bistrot parisien dans « Les Filles de la doublure intérieure » de Laurent Fétis ; ou encore les oniromanciens de Simon Sanahujas, qui modifient la marche du temps dans « Le Marchand de réalité ».

Quelques rares auteurs font l’effort d’aborder le thème de manière plus originale. Léo Henry y parvient fort bien avec « Tordre le cou à la pensée magique », où un anodin lecteur mp3 se transforme soudain en oracle musical. A l’inverse, Julien Heylbroeck signe la pire nouvelle du recueil avec « Magic Best-of », en tentant de marier sorcellerie et junk-food. L’idée pouvait être amusante, le résultat est d’un amateurisme absolu. Quant à Romain d’Huissier, on lui accordera volontiers la palme de l’exotisme pour « Hong Kong by Night – Vengeance pour un dragon », une fantaisie urbaine nourrie au cinéma de genre local qui mériterait sa classification en Catégorie III.

Finalement, la meilleure nouvelle de cette anthologie se cache en toute fin de volume et est signée Karim Berrouka. « Vaisseau d’espoir, comment es-tu devenu un vaisseau de douleur ? », nous invite à bord d’un navire spatial où ont pris place quelques milliers de colons en route vers une Terre nouvelle. Sauf que les secrets du voyage supraluminique ne doivent rien à la science… La fin aurait pu être plus cruelle encore, mais le texte en l’état fonctionne fort bien.

On trouvera donc au sommaire de L’Amicale des jeteurs de sorts quelques nouvel-les de qualité, un peu perdues au milieu d’une majorité de récits médiocres. Décidément, un élagage un peu plus sévère aurait fait le plus grand bien à cette anthologie.

Philippe BOULIER

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