« Ce qui restait de Maria Asumption était étendu dans un lit aux draps imbibés de sang. À côté, sur la table de nuit, brûlait une bougie censée absorber les mauvaises odeurs… Pete a pâli.
C'était la première fois que je le voyais perdre ses couleurs,
– Gaby. Elle… elle…
J’avais compris au premier coup d'œil que la fille vivait encore… Ma main droite est descendue avec lenteur comme une feuille morte portée par le vent… Ma paume est entrée en contact avec le front de la suppliciée… La seule pensée qu'émettait encore le cerveau de Maria a envahi le mien, submergeant ma conscience.
Je ne veux pas mourir… Je ne veux pas mourir… Je ne veux pas mourir… »
Les ailes du désir rencontre Seven par la grâce de Franck Morrisset qui, après Alice qui dormait, semble se faire une spécialité des atmosphères tragiques et glauques.
Voici donc Gabriel, un ange détective aux ailes éclaboussées du sang des innocents, surnageant sur les rivages amers de l'infinie douleur depuis qu'il a touché le fond de l'atrocité « made in humanité ». Déchu de ses premiers pouvoirs pour avoir fait crier un enfant ses doutes quant à la gloire du tout puissant (un peu avant de passer aux fours nazis), Gabriel est de surcroît du genre à cumuler : il vit un amour impossible (ce sont les plus beaux, s'il faut en croire la Belle) avec Cruelle, son équivalent féminin maléfique presque aussi désabusé. Arrive sur ces entrefaites un tueur en série très calé sur l'historique de ses prédécesseurs (mais pas autant que Gabriel), qui, comble de la malveillance téléphonique, a choisi d'informer notre ange de chacun de ses exploits. Ce vivisecteur anonyme ne souhaite en effet qu'une seule chose, être arrêté.
Seulement avec les réductions d'effectifs de la police et l'énergie sans borne des détraqués de l'époque, cela ne risque pas d'arriver tout de suite. Parallèlement Gabriel donne aussi un coup de main à la police, ce qui tombe bien, puisqu'une cargaison de Z33 (le crack du jour) en promotion est sur le point d'arriver en ville…
On l'aura compris, pour un roman noir, c'est du roman noir pessimiste absolu d'un univers en plein naufrage où rien n'est à sauver, ou presque. Par exemple l'épisode où Gabriel le prodigue offre une liasse de dollars à un sans-abri, lui permettant de devenir homme Nouveau. Comme l'Ordre même nom…
Ce qui pourrait facilement tourner' de la complaisance gratuite et écœurante se révèle pourtant être un rom d'une certaine beauté. Malgré de curieuses facilités (comme le soudain sursaut d'activité des phalanges démoniaques pas aussi dépassées par le génie humain qu'on nous l'affirme plus tôt, ou encore ces pouvoirs qui vont et qui viennent au gré de la mansuétude de Qui Vous Savez), voire certaines solutions policières douteuses (expédition punitive et peine de mort pour tous les méchants), Morrisset construit pierre après pierre son édifice qu'il orne de strophes de Baudelaire et tapisse de visions historiques. Toute la douleur du monde vient alors sourdre peu à peu du récit jusqu'au dénouement, tenant à la foi du coup de grâce (dans le climax, le plus haut point de tension du récit) et de l'illumination mystique (la chute).
Bref une œuvre personnelle ; on l'apprécie ou pas mais on en reconnaît la force.