Celia S. FRIEDMAN
L'ATALANTE
304pp - 16,00 €
Critique parue en mai 2000 dans Bifrost n° 18
Nous sommes sur Erna, une planète colonisée par l'humanité il y a plus d'un millénaire et qui ressemble à la Terre comme deux gouttes d'eau. À ceci près que sur Erna, il y a le fae. Une force (« Viens du côté obscur de la Force, Luke… ») étrange, inhérente à ce monde, un pouvoir naturel qui semble régir toute vie, influer sur toute chose, jusque dans le cœur même des molécules… Si interagir avec le fae présente un danger certain, c'est aussi le moyen d'altérer son environnement, d'acquérir des pouvoirs susceptibles de faire de vous un véritable magicien. Car ce que peut offrir le fae est à la hauteur de ce qu'il peut prendre : cette force est toute puissante et c'est pas un truc de rigolos, c'est même capable de matérialiser la peur, les cauchemars les plus profonds enfouis dans le subconscient de l'être humain — d'où les vampires et autres joyeusetés qui hantent les nuits de ce monde charmant. Sur Erna donc, les hommes, trop occupés à lutter pour leur survie contre un environnement qu'ils ne comprennent que partiellement, ont pour la plupart perdu jusqu'au souvenir de la Terre. La science, altérée par le fae (les constantes de la physique terrienne, pour cause de fae, ne fonctionnent pas sur Erna), a pour ainsi dire disparu. C'est dans cette environnement médiévalisant que le prêtre guerrier Damien Vryce, tout juste arrivé à Jaggonath après un voyage éprouvant, a la mauvaise idée de tomber amoureux de Ciani, une adepte (c'est à dire quelqu'un maîtrisant le fae de façon innée comme pas possible) bien roulée qui ne tarde pas à se faire attaquer par des espèces de vampires psychiques qui lui dévorent une partie de sa mémoire, lui faisant, en conséquence, perdre tous ses pouvoirs. Les salops ! C'en est trop pour Damien qui, en compagnie de Senzei, sorcier de son état et fidèle compagnon de Ciani, entreprend de monter une expédition afin de retrouver les agresseurs de la belle. C'est sûr, ça va chier des rondelles !
Nous voici en plein dans ce que l'ami André-François Ruaud nomme la BCF, entendez la Big Commercial Fantasy (même si L'Aube du soleil noir n'est pas à proprement parler de la fantasy). C'est joliment tourné, efficace, mais pas vraiment révolutionnaire. Ceci dit, le présent bouquin n'a rien de scandaleux. La traduction est à la hauteur, le texte bien tourné, certaines ambiances tout ce qu'il y a d'efficace (à ce sujet, le prologue est un véritable petit chef-d'œuvre). Ce serait même fort divertissant si ce n'était si long. Car nous voici face au problème majeur de ce premier volume : L'Aube du soleil noir tire à la ligne comme c'est pas possible ! On poirote, on s'égare dans des atermoiements psychologiques inutiles et forcés, bref on finit, c'est inévitable, par s'ennuyer ferme. Et c'est particulièrement frustrant car, on l'a dit, il y a dans ce roman de véritables morceaux de bravoure.
Celia S. Friedman est une jeune autrice (à peine une quarantaine d'années) américaine. Si elle a déjà signé six romans, L'Aube du soleil noir est son premier titre traduit en français — une édition française qui, contrairement à l'américaine, a été coupée en deux volumes, la suite étant annoncée pour fin juin. Même si ce roman ne nous a pas complètement convaincus, il a néanmoins le mérite de révéler un nouveau talent somme toute assez prometteur, pour peu qu'il oublie cette vilaine habitude des digressions systématiques et du souci du détail débile. Bref, néanmoins, de quoi féliciter, une fois de plus, les éditions L'Atalante et attendre (avec une once de doute tout de même) La Citadelle des tempêtes1, qui clôturera ce diptyque artificiel.
Note :
1. Finalement publié sous le titre L'Aube du soleil noir - 2 (note de nooSFere).