Thomas DAY
FOLIO
128pp - 2,00 €
Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100
Le début du XIXe siècle est une époque troublée en Europe : dans les décombres de l’épopée napoléonienne, alors que la révolution industrielle commence à donner ses premiers feux en Grande-Bretagne, et alors même que les travaux de Lavoisier viennent à peine d’inscrire la chimie au corpus des sciences dites dures, il reste encore quelques mages prêts à poursuivre les mêmes chimères – alchimiques et vitalistes – que leurs prédécesseurs.
Thomas Day inscrit son Automate de Nuremberg dans ce contexte, en mode uchronique. La retraite de Russie de 1812 a été suivie du siège de Paris puis d’une contre-attaque : l’Empereur parvient à vaincre le Tsar et à lui arracher un traité de paix léonin qui le rend tout à fait maître de l’Europe. L’époque n’est pourtant pas apaisée : l’Europe est exsangue, et pour financer la révolution industrielle naissante, il va falloir aller piller l’Afrique et l’Asie. Les soldats de Bonaparte, après avoir « pacifié » l’Espagne, vont participer à « l’œuvre de civilisation » et entretenir le trafic d’esclaves : l’uchronie de ce court texte n’est donc en aucun cas positive, et semble même désabusée.
Le lecteur appréciera dans cette novella les éléments d’imaginaire qui le connectent à d’anciennes traditions. Le personnage historique de Kaspar Hauser y est présenté comme un nourrisson réanimé par une technique vitaliste ayant altéré son cerveau (et donc, comme un lointain avatar du monstre de Frankenstein) ; l’automate éponyme, Melchior Hauser, n’est au départ que l’une de ces machines joueuses d’échecs dont les cours d’Europe étaient friandes ; le troisième des « frères » Hauser, qui porte quant à lui le nom de Balthazar – le dernier des Rois Mages – est un pur esprit, à conserver dans une bouteille, de peur qu’il ne s’étiole… ou ne s’échappe pour le malheur du monde. Ces trois êtres, qui incarnent chacun l’une des spécificités de l’humanité – le corps, l’esprit et l’âme –, ont des relations conflictuelles qui évoquent bien les dilemmes intérieurs que chacun de nous éprouve tôt ou tard. Dans ce conte cruel où il est question d’une époque révolue avant même d’avoir eu lieu, Thomas Day parle de la condition humaine – que ce soit dans le cadre étroit de l’expérience du présent ou dans celui plus large de l’écosystème social –, et il le fait avec un talent consommé…