L'Avant-poste, on l'appelle aussi le Comptoir. Un bar perdu sur une planète de la Frontière Intérieure, où l'on se rend parce qu'on l'a bien voulu. Un bar devenu la plaque tournante de toutes les légendes vivantes que compte l'univers. Un endroit où l'on se retrouve non seulement pour boire un verre, mais surtout pour raconter. Willie le Barde est là et travaille pour la postérité : il couche par écrit ce que vous avez vu, entendu, vécu. Bien sûr, la vantardise et l'exagération sont les premières à s'inviter : mais qui s'en soucie réellement ? Bientôt, des extraterrestres hostiles envahissent le système : c'est la guerre. Une guerre qui frappe aux portes du Comptoir, et pour nos héros de tous poils, il ne s'agit plus de raconter, mais de faire. Soudain le ton change, car chacun se révèle tel qu'il est vraiment. Peu importe néanmoins, car ce ne sont pas les faits qui font l'Histoire, ce sont ceux qui la racontent. Et les survivants, de retour au Comptoir, ont bien l'intention de laisser leur empreinte indélébile dans les pages noircies par Willie, tels les héros qu'ils ont toujours prétendu être.
Parodies, second degré, disproportion « à la marseillaise », le conte, la narration, le récit est loué avec bonheur dans ce roman, qui se présente comme un recueil d'histoires « vécues », récits truculents tout autant que célébrations à l'exagération dans le style « j'ai la plus grosse ». Sous des dehors humoristiques, Resnick nous livre ici ses propres réflexions sur l'objectivité historique lorsque le récit est basé sur la parole d'un seul homme, et la responsabilité de l'écrivain face à l'immortalité au travers de l'écriture.
Des trois parties qui composent L'Avant-poste, la première est la plus lourde à digérer. Constituée d'une trentaine d'histoires, autant de short-shorts dont le seul fil rouge est la présence des narrateurs dans ce bar, elle donne au lecteur, paradoxalement, une impression de longueur, et gagnerait à être amputée d'une bonne dizaine de récits. La troisième partie est la plus jubilatoire, car elle donne par effet rétroactif tout son sens au roman. Les protagonistes s'en donnent à cœur joie dans la vantardise, et le lecteur ne peut s'empêcher de revenir en arrière pour comparer ce qu'ils ont réellement vécus avec l'interprétation qu'ils en font.
Mais il ne faut pas non plus prendre une naine blanche pour une supernova : L'Avant-poste est d'abord et avant tout un roman d'aventure, un bon vieux space op' des familles, et s'il y a une réflexion de fond, on peut aisément passer outre tant elle est légère. Un livre pour passer le temps, que les fans de Mike Resnick apprécieront sûrement puisqu'il ne se démarque guère de ses productions dernières à l'artillerie plutôt lourde.