Ron Currie Jr. est un écrivain américain né en 1975 ; après un premier livre sous forme de recueil de nouvelles en 2007, God is Dead, paraît en 2009 son premier roman, L’Avenir n’est pas écrit. Tous deux ont connu un succès critique, glanant quelques prix au passage.
A sa naissance, Junior Thibodeau se voit confier par une voix intérieure (des extraterrestres ?) une terrible malédiction : dans trente-six ans, une comète entrera en collision avec la Terre, détruisant celle-ci. Un contre-la-montre s’engage alors dans la vie de Junior, même si, dans les premières années, compte tenu de son jeune âge, il ne saura qu’en faire ; il faudra qu’il aperçoive des images de bombe atomique pour prendre toute la mesure du caractère dramatique de la situation. Ce contre-la-montre prend la forme de chapitres plus ou moins courts numérotés à l’envers, narrés par la voix intérieure à destination de Junior, donc à la deuxième personne du singulier. Mais, comme Currie se doute qu’il ne pourra pas tenir un roman entier avec ce seul procédé, il intercale des passages rédigés à la première personne qui adoptent les points de vue de Junior, des membres de sa famille ou de sa copine. Comme la narration s’étend sur les trente-six ans de la vie du héros, jusqu’à l’instant fatidique, le roman fonctionne par ellipses ; entre deux chapitres, il s’écoule parfois plusieurs années. Et chaque chapitre, plutôt que de s’intéresser au développement global de l’intrigue, va se focaliser sur des événements marquants et fondateurs, sur une durée relativement restreinte, entre quelques heures et quelques jours.
On le voit, la construction est primordiale dans ce livre ; toutefois, on a vite compris comment Currie va agencer son récit, et dans la mesure où le procédé est assez simple, chargé est donnée à l’auteur de continuer de capter l’attention du lecteur. Et c’est là que le bât blesse quelque peu : en choisissant de reléguer au second plan l’histoire de la comète meurtrière, en préférant s’intéresser à la destinée de cette famille déchirée, entre père taciturne, mère renonçant peu à peu à l’existence et fils handicapé, Currie fait sans doute le mauvais choix. Si la narration est intéressante dans sa description de l’évolution de la psychologie de Junior — notamment lorsque ce dernier est confronté au cancer de son père, passages poignants où son combat contre l’inéluctable en présage un autre, encore plus définitif —, elle en oublie sans sourciller l’enjeu dramatique global. Certes, les personnages sont bien campés, on s’attache à certains d’entre eux, mais globalement on se fait quand même pas mal suer. L’angle d’attaque choisi par Currie est intéressant, mais se révèle au final une fausse bonne idée ; il aurait sans doute fallu réinjecter davantage de tension dramatique, ou alors opter pour un format un peu plus court, de façon à éviter qu’une certaine lassitude ne s’installe.
Malgré ces défauts, on ne peut que saluer la maîtrise narrative de l’auteur, d’ores et déjà impressionnante pour un premier roman, s’inscrivant ainsi dans la droite lignée des storytellers américains. A l’aise dans la description psychologique, il nous gratifie également de dialogues qui sonnent juste (même s’ils sont parfois un brin envahissants) et d’un humour par moments assez mordant, tout en faisant preuve d’un réel talent pour retranscrire les tourments de ses personnages.
Avec L’Avenir n’est pas écrit (titre assez malheureux, mais l’original, Everything Matters!, ne l’est pas moins), nous faisons ainsi la connaissance de Ron Currie Jr., jeune écrivain qui, indubitablement, si on lui donne quelques années pour qu’il perfectionne son art, devrait régulièrement, et à juste titre, truster les places de best-sellers…