François DARNAUDET
BLACK COAT PRESS
240pp - 20,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Ce roman est le développement, en mode science-fictif, de la nouvelle « Boris, ses motos, les Bardenas et autres déserts », parue en 2019 chez Nestiveqnen dans le recueil Le Möbius Paris-Venise. Une nouvelle qui fut, en ces pages-mêmes (Bifrost n°96), qualifiée par votre serviteur d’un des textes les plus forts qu’il lui ait été donné de lire, bien que de pure littérature générale, relevant à la fois de l’autobiographie et de l’écriture thérapeutique liée au deuil — celui d’un enfant, en l’espèce.
Hugh Everett (1930-1982), physicien et mathématicien américain, a élaboré une théorie des univers parallèles dans des travaux controversés repris par le chercheur suédois Max Tegmark. Selon cette théorie (nommée l’interprétation d’Everett), il existerait autant d’univers que d’états quantiques simultanés pour chacune des particules existantes : des univers parallèles, en somme, suffisamment proches du nôtre pour que les mêmes personnes y existent mais y vivent différemment ; un univers-source et diverses fourches quantiques divergentes. On pense bien sûr à l’univers d’Ambre et ses ombres chers à Roger Zelazny, mais François Darnaudet opte ici pour un traitement hard science.
Notre univers, celui où Boris Darnahurt s’est donné la mort, est un univers alternatif fourché d’après l’univers source où il est toujours en vie, mais où son père, Franck, est lui décédé. Dans cet univers-source, les travaux d’Everett et Tegmark ont été davantage pris au sérieux et ont débouché sur des applications concrètes. Des centres de recherches ont été construits, dont l’un en Espagne, dans le désert des Bardenas, où Boris est convié pour observer la fourche où il est mort et son père vivant, et peut-être établir une communication…
On notera que dans l’univers-source Boris est en vie, et que ce n’est que dans l’univers alternatif qu’il est décédé. Tandis que Cathy, mère du défunt et femme de Franck, cherche à entrer en contact avec son fils par des moyens occultes, Frank parcourt sans fin ces mêmes routes où son Boris roulait à moto, dans l’espoir d’y découvrir le signe d’un ailleurs où son fils serait toujours en vie. De son côté, dans l’univers-source, Boris cherche lui aussi à communiquer avec ses parents, et savoir quel écrivain il y était…
Dans ce roman transparaît l’espoir d’un univers autre où la tragédie ne serait pas advenue ; ici, l’intérêt majeur est à chercher dans la dimension autobiographique et prophylactique. Sans doute cette manière de revisiter le drame en un récit de SF pourra plaire aux fans exclusifs du genre, pour qui la nouvelle serait restée lettre morte. Le récit plaira aussi aux amateurs de motos, ces engins occupant une place de choix dans le récit. Certains aspects, toutefois, comme le milliardaire en quête d’immortalité quantique, semblent un brin surajoutés et factices. Tout ce qui importe vraiment sont les rapports entre le fils, le père, la mémoire et le deuil impossible. Au-delà de son caractère science-fictif, L’Effet Tegmark-Everett reste avant tout un profond roman psychologique.
Peut-être, en lisant ce roman après avoir lu la nouvelle dont il est l’extension, ne ressentira-t-on pas le drame avec le même impact, la même force. Mais il n’en demeure pas moins une lecture de choix.