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Les critiques de Bifrost

L’humanité a bien grandi et a trouvé de nouveaux terrains de jeu : quarante-huit systèmes stellaires, choisis non pas pour leurs conditions d’accueil (la plupart sont dépourvus de planète habitable) mais parce qu’ils sont reliés entre eux par le Flux, à savoir l’outil qui a permis l’hégire spatiale. Ce même Flux qui a permis à une guilde, la famille Wu, de diriger un empire gigantesque. Or ce bel ordonnancement va connaître des bouleversements soudains. Tout d’abord, l’emperox meurt et cède, faute de mieux, son trône à sa fille, peu réjouie de ce choix. Son règne s’avère difficile ; Cardenia manque d’entrain pour ce poste exigeant et bafoue les codes de ce monde tourné vers le passé (Dowton Abbey dans l’espace, en quelque sorte). Et voilà que le Flux, d’ordinaire d’une grande stabilité, se met à présenter des variations aux conséquences possiblement catastrophiques. Une bouche d’entrée a déjà disparu, abandonnant à un sombre destin une colonie tout entière. Comment l’empire, et même l’humanité dans son ensemble, vont-ils survivre à ce cataclysme annoncé ?

Ainsi donc, le Scalzi nouveau est arrivé. Oui, déjà. Prise de tête vient à peine de disparaître des étals des libraires — et avant lui La Controverse de Zara XXIII. John Scalzi est un auteur pour le moins prolifique. Heureusement, il sait varier ses histoires, leur genre, leur rythme, leur ton (même si son humour demeure reconnaissable). Cette fois-ci, il nous embarque dans un space opera ambitieux annoncé comme une trilogie. Enfin, au moins une trilogie… Quoiqu’il en soit, le deuxième tome, The Consuming Fire, déjà paru aux États-Unis, devrait sortir en France d’ici la fin 2019.

C’est donc parti pour des intrigues et des plans à double ou triple bandes ; des scènes d’action grandioses avec destruction de matériels et pertes humaines (John Scalzi s’y connaît, on le sait depuis Le Vieil homme et la guerre) ; des luttes où l’humanité ne cessera de révéler l’étendue de sa médiocrité, mais aussi, parfois, quelque grandeur. Et au centre de ce déferlement, une poignée d’individus hauts en couleur : Cardenia, pour commencer, future emperox Griselda II, jetée dans la cage aux lions, mais pas vraiment sans défense ; Nadashe Nohamapetan, membre d’une guilde ennemie et vraie arriviste, prête à tout, vraiment tout, pour le pouvoir ; Kiva Lagos, au franc parler (c’est peu de le dire !) et au vaste appétit sexuel, commerçante avisée n’hésitant pas à sacrifier quelques vies pour augmenter ses bénéfices. Des hommes entourent ce trio féminin, mais ce sont elles, les vraies maîtresses du jeu (en tout cas, pour l’instant). Sans parler de sexisme et autres -ismes à la mode, voilà qui est bienvenu dans un genre, le space opera, plutôt masculin et stéréotypé, où la figure féminine se réduit souvent à deux horizons, celui de potiches ou de décalque d’une virilité bien « burnée » (on se souvient de l’Honor Harrington de David Weber). Chez Scalzi, même s’il n’évite pas certains clichés, nul ne peut nier que les héroïnes déploient une véritable personnalité.

S’il nous offre un roman plutôt court (à peine plus de 300 pages, la taille habituelle de ses productions — une petite pensée pour Peter F. Hamilton, qui ferait bien d’en prendre de la graine…), l’auteur parvient à mettre en place un univers cohérent et riche de promesses. Le problème du déplacement dans l’espace, souvent évacué et laissé à la marge, est ici au centre de l’intrigue et s’avère un remarquable pivot pour le récit (merci Frank Hebert). La structure de la société, même si elle manque d’originalité, est tout à fait cohérente et assez complexe pour offrir de nombreuses possibilités de rebondissements. À l’image des personnages, plutôt convaincants. Une bonne pioche, cette fois : allez, M. Scalzi, on continue sur ce rythme effréné et avec cette qualité s’il vous plait.

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