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Les critiques de Bifrost

L'Empire du sommeil

L'Empire du sommeil

Sylvie DENIS
L'ATALANTE
416pp - 19,90 €

Bifrost n° 69

Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69

Annoncé et attendu, L’Empire du sommeil vient enfin mettre un terme à l’impatience provoquée par le cliffhanger laissant le lecteur sur les charbons ardents à la fin de La Saison des singes. Cinq ans d’attente pour connaître le dénouement du diptyque de Sylvie Denis et se faire un avis définitif sur cette fresque marquant le retour de la dame dans la SF, si l’on fait abstraction des quelques titres (deux, en fait…) pour la jeunesse commis entre-temps.

Dans un futur très éloigné, l’humanité a fini par atteindre les étoiles, colonisant d’autres mondes. A l’aide de la génétique et de la nanotechnologie, elle s’est transformée, accroissant notamment sa longévité. Certains êtres humains, appelés Grands modifiés, ont fusionné leur conscience pour parvenir à un niveau supérieur de perception et d’existence. Investissant l’enveloppe de vaisseaux spatiaux, ils ont fondé la Charte des Amis de l’Humanité pour réglementer l’usage des technosciences, manière d’en restreindre les applications dans leur propre intérêt.

La Saison des singes faisait se succéder plusieurs trames, tissant une intrigue complexe étalée sur près d’un millénaire. L’univers mis en place par Sylvie Denis évoquait en vrac ceux de Brian Aldiss, Iain M. Banks et Ursula Le Guin. Des références en or massif pouvant conduire à méjuger l’originalité du diptyque de l’auteur français. Pourtant, ce premier volet ne souffrait pas de la comparaison avec ses illustres devanciers, mais d’un manque de liant et de personnages suffisamment attachants pour incarner des points d’ancrage dans cette fresque de l’avenir. Un sentiment confirmé avec L’Empire du sommeil, car même si Sylvie Denis prend bien garde de renouer tous les fils de son histoire pour lui donner une conclusion satisfaisante, en forme de fin ouverte, on ressort de l’ouvrage un tantinet frustré.

La faute en partie au foisonnement des thèmes et des idées. Une multitude conduisant l’auteur à n’en approfondir finalement aucun. On doit se contenter d’amorces et de pistes ébauchées au fil d’une narration morcelée entre différents points de vue dont les connexions paraissent parfois trop artificielles, pour ne pas dire maladroites. Sylvie Denis nous parle de neuroscience, d’univers virtuels, de modifications corporel-les par la génétique et la nanotechnologie. Elle évoque les technosciences, la politique et l’éthique dans un grand fourre-tout censé faire sens. Du sens, L’Empire du sommeil n’en semble pas complètement dépourvu. Obscurantisme versus progrès, totalitarisme contre liberté, individu opposé au collectif. Toutes ces questions sont abordées à l’aune de la science, de la technologie et de leur impact sur nos façons de vivre et de penser. Mais force est de constater, en découvrant le dénouement, que la montagne accouche d’une souris.

Toutefois, ce n’est pas là que le bât blesse le plus. En effet, il manque une atmosphère au diptyque de Sylvie Denis. Quelque chose qui permettrait à l’émotion de s’installer, ou à l’empathie de surgir au détour de la réflexion. La Saison des singes n’en manquait pas complètement, notamment la première partie tirée de la nouvelle « Avant Champollion ». Avec L’Empire du sommeil, ces rares moments semblent comme expédiés au profit d’une résolution de tous les fils narratifs que l’on peut juger bâclée, surtout dans la cinquième partie. Même la terrible Kiris K. Tiris est escamotée d’une manière tout à fait ridicule, un comble pour le personnage jouissant du potentiel le plus intéressant.

Au final, le diptyque de Sylvie Denis ne tient pas toutes ses promesses, loin s’en faut. Tant pis ! On se consolera en relisant les nouvelles de Jardins virtuels (Folios « SF »), un format dans lequel l’auteure se montre beaucoup plus convaincante.

Laurent LELEU

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