Voici un ensemble de récits steampunk se déroulant dans le même univers, celui d’une France coloniale qui a dominé la quasi-totalité du monde grâce à sa puissance voltaïque. Sous Napoléon II, ce n’est pas Paris mais Lyon la capitale de l’Empire. Chaque récit met en scène et mélange joyeusement des personnages de la littérature populaire du XIXe, toutes nations confondues, en y incluant également leurs auteurs ou des figures historiques incontournables dans ce style d’exercice. Respectueux de la chronologie, l’auteur introduit facétieusement les descendants des héros, dont les ambitions diffèrent parfois. La profusion est telle qu’il est plus simple de recenser les oublis : la seule liste, en fin de volume, des auteurs visités comprend vingt-trois noms, la plupart attendus, d’autres moins évidents comme Gilbert Ralston (Willard, Star Trek), Michael Garrison (Les Mystères de l’Ouest), Clive Barker, ou moins attendus (Victor Hugo, Pierre Loti).
Le fil conducteur des intrigues est l’Empire lui-même et ses prodigieuses réalisations électriques. « Le Gambit du détective » voit Sherlock Holmes libéré des prisons impériales pour traquer un sosie de l’empereur agissant en son nom. L’enquête, effectuée durant l’exposition universelle, l’amène à se faire soigner par un Dr Watson à qui il déplaît profondément. Ce premier récit est un des plus brillants du volume, par la saveur des réparties et l’ironie mordante de Holmes ainsi que par un paradoxal enchaînement de situations typiquement wellsien.
« Les Légataires de Prométhée » voit Marc Frankenstein, héritier de Victor, utiliser l’énergie voltaïque comme thérapie cosmétique, la princesse Sissi ayant même tendance à abuser de ce procédé d’effacement des rides. Jeté dans un cul de basse-fosse pour que Napoléon Bonaparte prenne le pouvoir sur le Vieil Aiglon qui se voit sinon toujours rajeuni, il y croise un monstre qu’il ramène à la vie pour recouvrer sa liberté. La conclusion adresse un discret clin d’œil à Lovecraft.
« Les Masques du bayou », sur fond de révolte d’esclaves, se nourrit des figures fantastiques locales, baron Samedi et Candyman en tête, mais réjouit surtout par un Zorro vieillissant et toujours actif grâce à son exosquelette voltaïque, combattant un sinistre colonel Tom Sawyer.
Situé en Australie, « Comment je me suis évadé du bagne » s’avère le moins convaincant des récits, la faute à de nombreux flash-backs sur l’arrestation des futurs prisonniers, révolutionnaires comme Cosette et Gavroche Thénardier, figures du mal comme Fu-Manchu ou Raspoutine, un Passe-partout sans Phileas Fogg, abattu, des personnages de Zola, Jules Verne et Gaston Leroux, dont celui, récurrent, de Frédéric Larsan, chef de la sûreté devenu ministre, et encore Edgar Page Mitchell avec le Dr Rapperschwyll de L’Homme le plus doué du monde, constructeur de l’intelligence artificielle administrant le bagne. Dans cette profusion, quelques scènes saisissantes, comme les sauterelles, montures à roues et à pattes servant à la répression d’une manifestation.
« Les Éventreurs » rend justice au Dr Watson en lui permettant de vivre ses proprés aventures, enquêtant lors d’un séjour à Lyon sur des meurtres identiques à ceux de Jack l’Éventreur, cette fois motivé par une sorte d’eugénisme à la Galton fomentée par le Dr Moreau (on aurait pu lui préférer le Dr Lerne). Fleury force parfois le trait jusqu’à la farce dans ses effets comiques, ridiculisant un Watson faisant équipe avec le sagace Raoul d’Andrésy que les amateurs de Maurice Leblanc connaissent bien.
Enfin, « À La Poursuite du Nautilus », outre l’hommage à Verne, met en scène le Lavarède de Paul d’Ivoi et Jean Viaud, vrai nom de Loti, dans des aventures maritimes échevelées comme autant de passages obligés : piraterie, mutinerie, montre marin…
L’écriture ne s’écarte guère du style feuilletonesque en vigueur à l’époque, avec une lassante profusion d’adjectifs et d’adverbes excessifs, que les rebondissements et les incessants retournements de situation assaisonnés d’une bonne dose d’humour font oublier. Certains textes semblent moins travaillés que d’autres, mais au jeu des références propre à l’uchronie steampunk, Victor Fleury fait preuve de suffisamment de finesse et d’inventivité pour offrir à tous la garantie de passer un agréable moment.