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Les critiques de Bifrost

L'encyclopédie du fantastique

Jacques BAUDOU
FETJAINE
190pp - 24,90 €

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Succédant à L’Encyclopédie de la fantasy parue chez le même éditeur en 2009, le présent ouvrage est animé des mêmes intentions. A savoir, proposer au grand public une approche du genre en maintenant l’équilibre entre initiation et approche érudite, l’ensemble étant étayé par une riche iconographie.

Convoquant dans l’introduction les avis éclairés de Roger Caillois et H. P. Lovecraft notamment, l’auteur caractérise le fantastique par l’intrusion dans notre réel d’un phénomène étrange, allant à l’encontre des règles habituelles, et qui provoque la peur. Le fantastique, genre aîné de l’Imaginaire, se distinguerait ainsi de la science-fiction et de la fantasy. En effet, dans l’un et l’autre cas, les mondes décrits sont donnés comme recevables en bloc, qu’il s’agisse de prospective ou de magie. On admet que l’univers évoqué est normal selon ses propres conventions, l’intrigue s’y déroulant ne remettant pas en cause ses lois. Dans le fantastique, au contraire, l’événement inattendu, et littéralement contre-nature, bouleverse non seulement notre connaissance de la réalité, mais la réalité elle-même. Une définition amendable, mais parfaitement recevable.

Jacques Baudou consacre son premier chapitre à la figure du diable en tant que matrice possible du fantastique, identifiant l’écrivain Jacques Cazotte comme père éventuel du genre avec Le Diable amoureux (1772), suivant en cela l’indispensable The Penguin Encyclopedia of Horror and Supernatural. L’auteur évoque ensuite les figures obligatoires d’Horace Walpole, Matthew G. Lewis ou encore Robert Charles Mathurin, rayonnant à partir du socle anglo-saxon en direction des autres traditions européennes, principalement françaises et allemandes, sans toutefois oublier les autres apports essentiels, qu’ils soient par exemple belges (Tomas Owen ; Jean Ray ; Michel de Ghelderode) italiens (Landolfi ; Buzzatti) ou russes (Gogol ; Tourgueniev). Ce tour d’horizon, forcément rapide compte tenu de l’intention de l’ouvrage, est parfaitement satisfaisant. L’érudit y trouvera son compte, et l’amateur pourra y puiser des suggestions de lectures.

Puisque l’objet est à la fois littéraire et illustratif, mentionnons pour la partie allemande la très belle reproduction de l’affiche cinéma d’Alraune (1930) ou des splendides couvertures de la revue Der Orchideengarten, véritable pépinière de talents durant la première moitié du siècle passé. En parfaite cohérence avec l’intention générale, l’iconographie puise de même dans les photogrammes, images de comics ou clichés de studios.

Concernant la partie analytique, Jacques Baudou se réapproprie de façon assumée la grille de Stephen King proposée dans son Anatomie de l’horreur. Là aussi, le choix est judicieux, puisque King est à la fois un nom connu du grand public et un incontestable expert. L’organisation thématique à partir des figures de la chose sans nom, du vampire, du loup-garou et des fantômes rend aisé le parcours. Ainsi peut-on aller du livre au film, du théâtre à la télévision en passant par le fantastique radiophonique, injustement sous-estimé. L’ouvrage fait enfin place au renouveau du fantastique, qu’il soit littéraire, filmique ou télévisuel. L’ancien critique du Monde mentionne des talents qu’il con-tribua largement à faire connaître : Graham Joyce, Mélanie Fazi ou Jonathan Carroll, montrant sans qu’il en soit besoin sa cons-tance, qu’elle soit de goût où d’amitié.

Cela, pour une description générale de l’ouvrage.

L’ensemble, parfaitement plaisant, atteint son principal objectif, qui est de conjuguer connaissance et visuel agréable à destination du plus large lectorat. Mais il n’est pas que cela, et de loin. Au détour d’une description générale, Jacques Baudou évoque des chefs-d’œuvre oubliés, principalement des nouvelles, comme « Io » d’Oliver Onions, probablement l’un des plus grands textes fantastiques jamais écrits, tout comme l’est l’extrêmement dérangeant « Sredni Vashtar » de Saki. De plus, profitant de la notoriété de certaines œuvres fantastiques, telle Rosemary’s Baby, l’auteur butine dans d’autres champs et rappelle que le même Ira Levin est l’auteur d’un petit bijou de cynisme policier : La Couronne de cuivre. En jouant volontairement la carte de la digression, Jacques Baudou parvient à enrichir le thème, voire à établir des passerelles entre différents genres de l’Imaginaire.

A cette approche intentionnellement généraliste viennent s’ajouter des éléments de réflexion qui intéresseront le connaisseur. Jacques Baudou remarque à juste titre que le fantastique est d’abord un genre littéraire réservé à une certaine élite d’écrivains. Sans remonter jusqu’à Christopher Marlowe, rappelons que des auteurs encensés par la littérature générale, tels André Pieyre de Mandiargues, Pierre Mac Orlan ou Marcel Aymé se sont illustrés dans le genre, et n’hésitaient pas pour certains à publier dans la revue Fiction. Cela, pour ne citer que des auteurs francophones, mais l’on pourrait autant évoquer, par exemple, Jorge Luis Borges. Selon Jacques Baudou, le passage d’un lectorat lettré à un public de masse s’est effectué via le progrès des techniques d’impression (songeons aux pulps), les adaptations au cinéma (Frankenstein ; Dracula…) et le développement des networks américains, d’abord radiophoniques puis télévisuels. Ces différents éléments plus pointus, loin d’alourdir l’ensemble, confèrent un bonus appréciable.

Bref, L’Encyclopédie du fantastique atteint largement ses objectifs, voire même les dépasse. L’ouvrage, qui se lit bien sûr isolément de son équivalent en fantasy, laisse toutefois entrevoir un projet plus vaste. La logique voudrait en effet que les deux premiers volumes soient suivis de semblables études relatives au roman policier et à la science-fiction. Souhaitons qu’il en soit ainsi.

Xavier MAUMÉJEAN

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