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Les critiques de Bifrost

L'Enfant de la prochaine aurore

Louise ERDRICH
ALBIN MICHEL
416pp -

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

Futur proche. Cedar Hawk Songmaker est une femme d’une vingtaine d’années. En dépit de ses prénoms et nom, plus native que nature, Cedar est une enfant adoptée. Ses parents adoptifs, végans et progressistes à tous points de vue, lui ont donné ces prénoms pour ne pas la « couper » de ses racines amérindiennes. De façon amusante, son nom de naissance est Mary Potts, comme sa mère et sa grand-mère biologiques Ojibwe. Les deux femmes – et le reste de la famille – vivent dans une réserve. Et au début du roman, Cedar va les rencontrer pour la première fois. Au début aussi, elle est enceinte. Au début enfin, le monde est en train de « finir », quoi que ça puisse signifier ici. Le roman est le journal à la première personne que Cedar écrit pour son bébé à naître. On y suit les tribulations de la jeune femme dans un monde où le changement climatique se poursuit et où, surtout, l’évolution s’est changée en dévolution, les animaux mettant au monde des versions très antérieures d’eux-mêmes dans l’échelle darwinienne et, apparemment, la plupart des femmes aussi. Un monde où elle doit se cacher car son ventre fait l’objet de convoitises… En effet, le chaos causé par la dévolution a été l’occasion pour l’Église et une partie de l’armée de prendre le contrôle du pays et d’y instaurer un régime totalitaire avec surveillance, délation, milice, abolition des libertés publiques. Cerise sur le gâteau, on y pratique un contrôle rigoureux des femmes enceintes, à la recherche de la perle rare portant un enfant standard et/ou d’utérus fonctionnels dans lesquels implanter des embryons d’avant. Si Cedar est attrapée, elle sera conduite dans l’un des nouveaux centres de reproduction, vers quel destin pour elle et son futur bébé ? Il lui faudra lutter, avec l’aide de ses deux familles, pour tenter d’échapper à un sort sans doute funeste. L’Enfant de la prochaine aurore est le récit de ces événements.

Succès critique aux USA pour ce roman qui coche toutes les cases du bingo. C’est l’histoire d’une femme, d’une future mère, d’une grossesse. Ça parle du contrôle étatique sur la reproduction. Ça évoque – d’assez loin – La Servante écarlate. Ça parle surveillance et dictature. Ça se passe en partie dans une réserve indienne, parmi des habitants qui, chaos aidant, reprennent possession de leurs terres. Ça parle – un peu — changement climatique. Il y a même un Underground Railroad et un(e) pseudo Big Brother : la Mère.

Hélas, la mayonnaise ne prend pas. Partant d’un postulat qui demande une énorme suspension d’incrédulité, Erdirch écrit un roman qui ne développe vraiment ni son effondrement ni son totalitarisme. Pourquoi ? Depuis quand  ? Comment exactement ? Autant de questions qui ne sont pas vraiment traitées ; tout est vu à travers les yeux de Cedar, qui ne sait pas grand-chose. De fait, le world-building est étique, et l’ignorance de Defred, qui allait avec sa claustration, ne passe pas ici. Le ton aussi est un point faible. Naïve et émerveillée par sa grossesse au point de paraître illuminée, Cedar délivre des tombereaux de mièvrerie qui alternent volontiers avec des passages pompeux – historiques, biologiques ou théologiques, car le roman, écrit par la catholique Louise Erdrich, décrit une Cedar convertie au catholicisme et abonde de références et de questionnements touchant à l’Incarnation. Problème : même si l’autrice se place deux fois sous le patronage d’Hildegarde de Bingen, c’est plutôt aux très jeunes extases de Sainte Thérèse de Lisieux qu’elle fait penser. On oscille alors entre ennui et consternation, puis incrédulité face à une citation de Teilhard de Chardin, par exemple. Sans compter que les intuitions illuminées de Cedar sont peu claires et font très journal intime. Il n’y a rien d’inspirant à en tirer.

Que reste-t-il alors ? Difficile de dire si Erdrich a voulu décrire une sainte en devenir ou montrer l’effet euphorisant de la grossesse à un monde qui en a fait sa grande aventure. Quoi qu’il en soit, le résultat est à la fois frustrant – jusqu’à la fin même – et impossible à prendre au sérieux tant Cedar joue jusqu’à la nausée son rôle exaspérant de ravi de la crèche.

Éric JENTILE

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