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Les critiques de Bifrost

L'Énigme du cadran solaire

Mary GENTLE
FOLIO
1100pp - 14,90 €

Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49

Habituée des pavés en tout genre, Mary Gentle récidive avec L'Enigme du cadran solaire, sorte de pastiche/hommage au roman de cape et d'épée en deux épais volumes. Les lecteurs emballés par l'excellent Livre de Cendres (quatre tomes dans la même collection, pour un seul et même roman, cf. critiques in Bifrost 36 & 38) peuvent se ruer sans angoisse sur cette nouvelle démonstration de talent à l'anglaise. Prenez un cliché, tordez-le, récupérez-en la quintessence, secouez, saupoudrez d'un zeste de détachement, et voilà. Le flegme britannique en plus. Mary Gentle pourrait effrayer tant elle semble incapable de faire court, mais elle possède le rare talent de ne jamais ennuyer son monde, tout en le baladant très exactement où elle veut. Humour débridé, aventures délirantes, fantastique léger, action, suspense, émotion, L'Enigme du cadran solaire a tout du blockbuster littéraire, mais la très grande subtilité qui nimbe l'ensemble rappelle que nous n'avons pas affaire ici à un roman de fantasy de plus. Gentle fait de la littérature d'auteur. Divertissante, certes, passionnante et grand-public, mais jamais vaine, jamais facile et toujours très personnelle. Bref, de la littérature de genre assumée dans le décalage, comme seuls les anglais en ont le secret.

Titrée 1610, A sundial in the grave en VO, L'Enigme du cadran solaire s'ouvre sur la mort d'Henri IV. On y suit les mésaventures de Rochefort, bretteur interlope aussi loyal qu'attachant (à mi-chemin entre Cyrano et Portos) et gentilhomme défroqué qui travaille (efficacement, d'ailleurs) comme espion pour le compte du Duc de Sully, ministre des finances du Roi et fidèle d'entre les fidèles. Reste que Rochefort fait une erreur. Grave, même : bien décidé à infiltrer un odieux complot contre le Roi ourdi par la reine Marie de Médicis, Rochefort réussit tellement bien dans son entreprise que c'est lui qui engage un illuminé, Ravaillac, persuadé que l'animal va lamentablement échouer. Hélas, l'histoire passe par là, et une fois Henri dûment occis, Rochefort n'a d'autre choix que l'exil, d'autant que Marie de Médicis n'a pas franchement la réputation d'être agréable envers ceux qui en savent trop… Comble de malheur, Rochefort embarque dans sa fuite l'infect Dariole, saleté de jeune homme aux manières aussi insultantes qu'espiègles, et qui a bien failli le tuer lors d'un duel mémorable. Horrifié par sa situation tragique, Rochefort se découvre en plus une attirance contre-nature envers Dariole (d'où quelques scènes pornographiques d'anthologie), personnage décidément énigmatique dont l'histoire pourrait bien cacher quelques secrets. Réfugiés à Londres, les deux frères ennemis voguent de Charybde en Scylla et de Scylla en Sarkozy en sauvant un samouraï japonais naufragé, avant de mettre le nez dans un autre complot régicide, à l'anglaise cette fois, orchestré par un nécromancien du nom de Robert Fludd, sorte de devin à côté duquel Nostradamus fait figure d'amateur. Bref, vivre dans la peau de Messire Rochefort n'est pas de tout repos…

Drôle, sérieux et intelligent de bout en bout, L'Enigme du cadran solaire fait partie de ces rares romans de pur divertissement aussi jubilatoires que passionnants. Mary Gentle happe son lecteur dès le premier chapitre et le martèle de situations tragicomiques sans toutefois jamais le perdre dans son labyrinthe narratif parfois déroutant mais jouissif. Cerise sur le gâteau, l'histoire s'offre le luxe d'une certaine poésie tout en restant étonnamment crédible, condition sine qua non à la stabilité de l'ensemble. Au final, deux tomes de pur plaisir, de quoi passer l'hiver au chaud.

Patrick IMBERT

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