Après Tress de la mer Émeraude, Guide du Sorcier Frugal dans l’Angleterre médiévale et Yumi et le peintre de cauchemar (cf. nos 110e, 111e et 112e livraisons), L’Ensoleillé est le quatrième projet secret que Brandon Sanderson a pondu pendant la pandémie, ceci arrosé par un petit financement participatif abondé par 40 fois plus que son objectif initial d’un million de petrodollars. Brandon a-t-il versé l’équivalent qualitatif de dix patates américaines ? Voyons voir.
Situé dans le Cosmère – l’univers étendu comprenant Roshar –, L’Ensoleillé est ce que l’on pourrait appeler une émanation science-fantasy des « Archives de Roshar ». On y suit Nomade (pseudonyme cachant l’identité d’un personnage rosharien bien connu), un voyageur cosmerique venant de s’échouer sur la planète Cantique après un énième « saut » dans la fuite éperdue qui rythme son existence.
Cantique relève davantage du planétoïde, car sa rotation est très rapide (quelques heures), et a la particularité de se trouver bigrement proche d’un soleil magique dont les rayons crament tout sur leur passage, paysage y compris. On peut rapprocher ce type de fuite planétaire des thématiques abordées dans Le Monde inverti de Christopher Priest et 2312 de Kim Stanley Robinson. À ce titre, Cantique évoque très nettement la Mercure de 2312, sur laquelle la vie est permise à l’ombre du soleil trop proche en déplaçant constamment la cité Terminateur. Sanderson s’applique ici à arroser le lecteur d’explications scientifiques sur la nature et le fonctionnement de l’environnement. Comment l’énergie est distribuée ? Comment, donc, une planète si petite et si proche de son astre peut se maintenir sans sombrer dedans ou se disloquer ? Toutes ces questions sont assorties d’explications mêlant la magie et la science, parfois malines, parfois peu convaincantes. Au fil du récit, Nomade devra libérer les gentils balisiens rebelles du joug du tyran « investi » Cœur-de-braise, un mage totalitaire un peu con à qui on a envie de donner des claques magiques. Nomade, lui, est un être « investi » de pouvoir, ce qui lui permet de puiser dans l’énergie du cosmère pour : voler, péter des gueules, façonner son esprit compagnon en tout ce qu’il veut. Enfin, quand sa malédiction personnelle lui permet de se battre. Et c’est là que ça commence à grincer un petit peu. Car on touche à un écueil narratif récurrent chez Sanderson, un truc que l’on pourrait nommer la cloison de papier narrative : un personnage est empêché d’agir et/ ou de communiquer, au détriment de la progression du récit, par une contrainte triviale. Nomade ne peut pas se battre et se défendre, donc la puissance des antagonistes ne dépend que de cette contrainte « de papier ». C’est un motif que l’on retrouve également tout le long des « Archives de Roshar », qui prête à beaucoup de circonvolutions.
Mais… ça marche. Ça bastonne même plus vite que dans d’autres livres de Brandon. Le sens de l’émerveillement convoqué, la nature magmatique et toujours recréée de Cantique permettent un jeu d’imagination d’une luxuriance hiératique certaine. Si vous ne jurez que par la hard SF, vos dents risquent de grincer, si vous êtes des légalistes diégétiques, tout pareil. En revanche, si vous voulez rêver un brin et avoir chaud à l’imagination en ce début d’hiver pendant quasi 600 pages, foncez.