Becky CHAMBERS
L'ATALANTE
448pp - 24,50 €
Critique parue en janvier 2017 dans Bifrost n° 85
Le Voyageur est un vaisseau spatial dont la finalité est de creuser des trous de ver dans l’espace afin d’accélérer les itinéraires commerciaux. Ashby Santoso, son capitaine, a réuni un aréopage de techniciens compétents issus d’horizons différents. La pilote est une sorte de reptile emplumée ; le cuisinier, en pleine maturation sexuelle qui le voit changer de sexe, possède six mains, ce qui lui est bien utile puisqu’il exerce aussi la profession de médecin de bord. L’équipage comprend aussi un nain, un alien à la personnalité multiple, et quelques autres individus hauts en couleurs. Cette communauté soudée accueille un jour Rosemary en qualité de greffière, destinée à gérer l’aspect légal des travaux du Voyageur laissé un peu de côté par Ashby. Elle ignore comment elle va être accueillie, d’autant plus que la guerre gronde et que Santoso reçoit un contrat pour aller construire un tunnel dans une région proche de la zone de combat.
Oubliez le titre français, L’Espace d’un an, pas très explicite, voire même un peu gnangnan (mais du même acabit que le titre original, The Long Way to a Small Angry Planet), car le roman vaut beaucoup mieux que ça. Oubliez même le contexte global, le conflit armé qui, graduellement, s’envenime et se rapproche : l’ambition de l’auteure est davantage à chercher dans la petite communauté qu’elle décrit, la manière dont elle y immerge son lecteur. Aussi, à l’embarquement de Rosemary sur le Voyageur, quand elle mange les plats préparés par le docteur Miam, c’est nous qui en apprécions le goût. Quand Kizzy et Jenks mettent les mains dans le cambouis pour réparer le vaisseau, ce sont bien nos mains qui se retrouvent pleines de graisse. Tout le travail de l’auteure tend vers ce but immersif, à savoir nous intégrer à cette famille. Car c’est cela dont il s’agit : malgré les divergences entre les membres d’équipage, malgré, pour certains, leur incapacité à se sociabiliser, le groupe est au final aussi uni qu’une cellule familiale. Rosemary – et le lecteur avec elle – devra se faire une place, mais sera au final acceptée comme un nouveau membre à part entière, le temps pour elle de réussir à décoder le comportement parfois imprévisible lié à la grande disparité des us et coutumes des différentes espèces réunies ici. L’Espace d’un an rappelle énormément l’ambiance et le propos de la série Firefly de Joss Whedon, dans sa description des relations entre personnages (même si, dans la série, il s’agit essentiellement d’êtres humains), qui prennent nettement le pas sur des péripéties extérieures. Si vous avez aimé Firefly – ce qui est le cas d’un nombre de lecteurs relativement important de Bifrost, gageons-le – pour son ambiance, vous adorerez ce livre. Becky Chambers, dont c’est ici le premier roman, affirme d’emblée une voix qui lui est propre, une voix empreinte d’humanité et de tolérance, loin de toute esbroufe. Autant dire qu’on attendra avec impatience la suite parue en 2016 aux États-Unis, A Closed and Common Orbit.