L’espace entre les guerres est un recueil réunissant deux romans respectivement parus en 1998 et 2000, Dans la gueule du dragon et Une porte sur l’éther. S’inscrivant dans l’univers des Portes de Vangk commun à d’autres textes de l’auteur, ils mettent en scène son seul héros récurrent, Jarid Moray, qui refera une apparition dans Lum’en. Il correspond au trope du médiateur, mi-diplomate, mi-enquêteur, envoyé par le gouvernement (ici diverses corporations interstellaires) quand la situation locale devient explosive (on retrouve le même type de protagoniste chez Serge Lehman ou Adam Troy-Castro, par exemple). Il est la dernière étape avant une intervention militaire : la conciliation coûte moins cher que la guerre !
Dans la gueule du dragon se passe sur une protoplanète qui n’est qu’un océan de lave radioactive où seul un îlot rocheux, le Berg, forme une graine de continent, que la technologie humaine empêche d’être dissous. Jarid y est expédié par la Semeru, la multimondiale titulaire de la concession (qui ne sert que de vitrine technologique pour les actionnaires et les concurrents, son utilité économique étant nulle), afin d’enquêter sur le meurtre des deux précédents gouverneurs, alors que le nouveau entame une violente répression, cherche à imposer des lois d’exception et à exacerber les tensions, tandis que les factions politiques locales (des utopistes aux non-violents en passant par les radicaux meurtriers) se déchirent. Une porte sur l’éther met en scène un cadre encore plus extraordinaire, deux planètes partageant la même orbite, reliées par un Big Dumb Object, l’Axis, d’origine extraterrestre et formé de diamant, ayant pour but de permettre le complexe cycle de vie d’une céréale au potentiel nutritif hors-norme et au goût inimitable. L’une des planètes, aux mains d’une junte militaire nationaliste et intolérante, responsable d’un génocide ayant contraint certains groupes à l’exode dans l’Axis, fait entendre des bruits de bottes pour effacer ses crimes passés en conquérant ce dernier et renégocier à la dure le partage des profits, encaissés en premier lieu par le monde jumeau. Les habitants de la structure, divisés entre des groupes aussi divers que des primitivistes, des posthumains et des fanatiques religieux, vont se retrouver pris au piège. La mission de Moray, pour le compte d’une autre multiplanétaire, la DemeTer, sera de désamorcer la crise.
Genefort est un des rares auteurs français de hard SF, et un maître du planet opera. Dès lors, on ne sera pas étonné s’il brille dans ces deux domaines, les environnements décrits dans les deux romans étant à la fois scientifiquement crédibles, générateurs de tonnes de sense of wonder et peut-être surtout ne se contentant pas d’être des décors, si fascinants soient-ils, mais de solides germes pour les intrigues des romans concernés. On émettra cependant un léger bémol sur des difficultés à visualiser les structures internes de l’Axis, sur un protagoniste en grande partie passif et sur des fins abruptes. On remarquera cependant que mêler une solide hard SF et un fond thématique soft SF faisant la part belle aux problèmes de société, à l’idéologie et aux factions politiques (sans compter l’aspect ethno-SF d’Une porte sur l’éther), traités sans prosélytisme ni lourdeur, n’est pas donné à tout le monde. L’auteur dénonce la répression gouvernementale des mouvements sociaux, le militarisme, les juntes, les génocides et les tentatives d’en effacer les traces de l’histoire, les exodes forcés, le fanatisme religieux, et dans les deux cas, met en avant l’aspiration du peuple à s’appartenir à soi-même.
L’espace entre les guerres est un recueil totalement recommandable pour qui cherche un planet opera hard SF haut de gamme n’oubliant jamais l’humain dans son équation.