David MEANS
GALLIMARD
416pp - 23,00 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
Premier roman de David Means, auteur américain réputé jusque-là pour ses nouvelles, L’Été de la haine est un peu passé sous les radars d’une actualité littéraire guère prolixe avec les transfictions. Le titre mérite pourtant bien plus qu’un regard distrait pour sa couverture arty, son traitement et ses thématiques évoquant à la fois Tommaso Pincio et Lewis Shiner. De quoi donner du grain à moudre à l’amateur d’Imaginaire, on va le voir, mais à la condition de s’accrocher.
La fiction permet souvent à la résilience de s’exprimer, cicatrisant les plaies de l’esprit et atténuant les cauchemars. Pour surmonter le trauma de la guerre du Vietnam, Eugene Allen s’est construit un univers fictif, puisant dans son vécu et dans l’histoire des États-Unis les éléments d’un roman en forme de catharsis personnelle. De son expérience de la guerre, de l’assassinat de Kennedy pendant son troisième mandat et de la mort de sa sœur, dont la police a retrouvé le corps, abandonné au bord d’une route, il tire un récit immersif, sorte de bad trip à rebours, intitulé Hystopia. Il imagine ainsi une course-poursuite entre Rake, un tueur en série, et un duo de flics appartenant à la Brigade Psycho, l’agence fédérale créée par Kennedy pour neutraliser les « mal repliés », autrement dit les vétérans rétifs au traitement à la Tripizoïde, un stupéfiant puissant supposé permettre le repliement de leur stress post-traumatique en effaçant leur mémoire.
Livre gigogne, uchronie personnelle et mise en abyme de la société américaine contemporaine, L’ Été de la haine est aussi le portrait d’une nation malade, incapable de surmonter ses multiples troubles après avoir longtemps flirté avec le déni de la prospérité. Avec ses gangs de motards ultra-violents, le Black flag, attirés par l’État du Michigan comme un aimant pour s’y livrer à des batailles rangées impitoyables, avec son président handicapé, rescapé de plusieurs attentats, avec sa guerre du Vietnam toujours plus meurtrière, pourvoyeuse de vétérans inadaptés dont on cherche à replier le mal être grâce à un traitement médicamenteux, avec ses cités en proie aux émeutes raciales et sociales, l’Amérique d’Eugene Allen apparaît comme le reflet décalé de celle de David Means. Une Amérique alternative où le Summer of Love cède la place à un Summer of Hate, libéré du joug chimique de la Tripizoïde et de l’illusion de la Nouvelle Frontière de John Fitzgerald Kennedy. Une Amérique où les dépliés, purgés de leurs traumas et libérés du carcan d’une société prospérant sur le mensonge et la frustration, optent pour une vie plus sincère, au son du Raw Power d’Iggy Pop et des Stooges.
Bref, en dépit d’une construction narrative déroutante ne facilitant sans doute pas la lecture, David Means nous livre avec L’Été de la haine un roman désenchanté, mais qui recèle des fulgurances stylistiques étonnantes et des trésors d’émotions inoubliables. À découvrir assurément, mais non sans effort.