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Les critiques de Bifrost

L'Été et la mer

L'Été et la mer

Olivier BÉRENVAL
LE PEUPLE DE MÜ
416pp - 23,00 €

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

George Turner, écrivain et critique australien dont c’est a priori la première traduction en français, eut une trajectoire quelque peu étonnante : né en 1916, il débuta comme auteur mainstream en 1959, gagnant prix et renommée, avant de commencer à publier des articles et critiques de SF dans les années 70, ce qui l’amena tout naturellement à écrire de la fiction du même genre, là aussi avec un certain succès, comme le prouve L’Été et la mer, lauréat du prix Arthur C. Clarke en 1988. L’histoire débute dans un futur indéterminé, à Melbourne, alors que l’eau a recouvert la ville, ne laissant émergés que quelques chicots d’immeubles proches de l’embouchure du Yarra ; un acteur de théâtre est venu faire des repérages, accompagné d’une historienne qui lui raconte la vie au moment où tout a basculé, par le biais du manuscrit d’un roman qu’elle a écrit plutôt qu’en lui faisant un cours académique qu’elle juge trop peu incarné. Dans ce manuscrit, qui constitue la quasi-intégralité du reste du livre — et qui aurait très bien pu se passer de prologue, dont la principale utilité est sans doute de montrer qu’à peu près tous les protagonistes vont vraisemblablement périr suite à la montée des eaux — on suit, dans la deuxième moitié du xxie siècle, les pas d’une famille de Stables, gens aisés, socialement rétrogradés suite au suicide du père de famille, et obligés de vivre à proximité des Souilles, ces laissés pour compte de la société. En effet, dans le futur décrit par Turner, la crise financière a plongé la civilisation dans le chaos et le chômage généralisé, tout en exacerbant les inégalités entre ceux qui peuvent encore bénéficier de soins, d’assistance, etc., et ceux dont la débrouille devient le mode de survie. Et ce d’autant plus que la crise écologique, matérialisée par des crues de plus en plus fréquentes et hautes, se superpose et vient accroitre la précarité des plus pauvres. Lesquels adoptent alors des stratégies diverses, individualistes ou communautaires, toujours marquées par l’utilisation de la force, et donc de la violence, et par les combines quasi systématiques entre les différentes strates du pouvoir local, policiers, caïds des immeubles, spéculateurs… Le roman suit les destinées croisées d’une dizaine de personnages, proposant régulièrement des exercices de thèse / antithèse / synthèse politiques, économiques ou philosophiques, préférant se concentrer sur l’évolution psychologique de la famille Stable et de ses connaissances plutôt que d’aborder de front la problématique climatique pourtant permanente dans la vie quotidienne. C’est sombre, âpre, fort, parfois lent, régulièrement violent, et surtout très bien écrit, et bien rendu par Olivier Bérenval, auteur déjà publié par Mnémos et dont c’est semble-t-il ici la première traduction. L’Été et la mer se révèle également très actuel dans son propos, malgré son ancienneté, à tel point qu’on peut se demander pourquoi il a fallu attendre 35 ans pour qu’il soit traduit. Il était plus que temps.

Bruno PARA

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