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Les critiques de Bifrost

L'Étrange Traversée du Saardam

L'Étrange Traversée du Saardam

Stuart TURTON
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
624pp - 10,10 €

Bifrost n° 107

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

Traverser les mers depuis les Indes néerlandaises jusqu’à Amsterdam au milieu du XVIIe siècle en indiaman (navire de transport avec quelques capacités militaires utilisé par les Anglais et les Néerlandais pour leur com­merce) n’avait rien d’une sinécure : attaques de pirates, incompétence du capitaine, révolte de l’équipage, tempête… Mais si on ajoute à cette liste une malédiction venue des temps anciens, il est entendu que le périple du Sa­ardam devait mal finir. Cependant, malgré tous les signes avant-coureurs, par cupidité ou par fierté, les instigateurs du voyage persistent, jusqu’au désastre.

Bienvenue dans une enquête en huis clos (le navire), avec un nombre limité (mais consé­quent) de protagonistes (et donc, de victimes et de coupables potentiels) et une dose non négligeable de surnaturel qui flotte au-dessus de tout ça. L’auteur, Stuart Turton, un habitué de ce genre de romans à tiroirs (son premier, Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle, avait convaincu de nombreux lecteurs, dont Xavier Mauméjean dans le Bifrost n° 96), veut étonner son public. Pour cela, il multiplie les pistes, à commencer par les fausses. Il aime jouer avec les apparences pour mieux tromper son monde. Et il n’hésite pas à dé­tourner les codes pour les tordre à ses be­soins. Ainsi l’un des protagonistes, Samuel Pipps, détective de renom très comparable dans la description de ses talents à Sherlock Holmes : il est capable de comprendre une intrigue avec un nombre minime d’indices et de déjouer n’importe quel complot. Or, à peine découvert, ce remarquable atout est mis de côté : accusé d’on ne sait quel crime, il passera une grande partie du roman à fond de cale, laissant la place centrale à un ancien soldat au corps gigantesque, sorte de roc inébranlable. En apparence, bien sûr…

On ne peut nier à Stuart Turton un certain talent pour mettre en place une situation et présenter ses personnages sans lasser ni montrer trop les ficelles. On ne peut lui retirer une imagination efficace, ni lui reprocher de narrer des scènes d’action de façon brouil­lonne ou lourde. Tout cela est à mettre à son crédit. En revanche, sa volonté de surprendre à tout prix le pousse souvent vers une intrication excessive de certains nœuds narratifs, ou a contrario vers des facilités dans l’explication des motifs ou des tours de passe-passe qui émaillent son récit. Par ailleurs, Bifrost oblige, force est de préciser que le côté surnaturel, la malédiction d’Old Tom qui sous-tend toute l’histoire, n’est finalement pas au centre du roman. C’est avant tout l’enquête et les liens entre tous ces personnages aux passés mystérieux et lourds de secrets qui dominent. C’est vers sa résolution que portent tous les regards. Pour le reste, pour peu qu’on aime les intrigues à tiroirs, les manipulations, les retournements de situation, les complots, les haines tenaces et les sentiments contraints, et qu’on ne s’attende pas à une claque aussi puissan­te que celle du premier roman de Stuart Turton, s’embarquer pour cette Étrange traversée du Saardam est un choix qui fait sens.

Raphaël GAUDIN

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