Neil GAIMAN
J'AI LU
256pp - 6,90 €
Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82
L’étrange vie de Nobody Owens, roman destiné à la jeunesse, s’ouvre sur le meurtre sanglant mais feutré d’une famille : le père, la mère, la fille sont égorgés par un mystérieux tueur, membre de la non moins mystérieuse confrérie des « Jack » (parmi lesquels, sans doute, Jack l’Éventreur et Spring-Heeled Jack). Seul le fils, un bambin âgé de dix-huit mois, parvient à s’échapper de la maison et à se réfugier dans le cimetière voisin reconverti en parc naturel. Un cimetière, même abandonné, est peuplé de fantômes et autres créatures surnaturelles. Celui-ci n’échappe pas à la règle, mais l’arrivée d’un bébé, bien vivant, un assassin sur ses talons, revêt un caractère inédit. Les fantômes prennent alors l’enfant sous leur protection, le baptisent Nobody et lui accordent le statut de citoyen libre du cimetière. Silas, créature ni vivante ni morte, seule apte à entrer et sortir de l’enceinte du cimetière, deviendra son tuteur.
L’étrange vie de Nobody Owens est avant tout le roman d’apprentissage d’un gamin sans identité, élevé en marge du monde moderne. Neil Gaiman se réapproprie Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling et le transpose dans son univers de fantasy urbaine teinté de poésie macabre et d’une pointe d’humour. La narration non linéaire s’articule autour des épisodes marquants de la vie de Nobody et les ellipses temporelles permettent de suivre son évolution sur une longue période – une quinzaine d’année, en fait, au cours desquelles Nobody doit trouver sa place dans le monde et se forger une identité tout en survivant à l’adversité (le Jack n’oublie pas sa mission). L’auteur convoque le bestiaire fantastique classique, laissant toutefois planer le doute sur la nature de chacun : fantômes, goules, vampires et loups-garous sont au rendez-vous, mais l’histoire de Nobody étant racontée au travers des yeux de ce dernier, assez naïf, il ne se rend compte ni des dangers, ni de l’étrangeté de ses compagnons. Si ce procédé narratif permet à Gaiman de mettre en lumière ses personnages et de susciter l’émotion, il a aussi pour inconvénient de laisser dans l’ombre une part importante de l’univers du roman : la confrérie des Jack et les motivations de cette dernière sont à peine esquissées, au risque de frustrer le lecteur un tant soit peu exigeant. Au chapitre des regrets, il faut aussi ajouter la discrétion des illustrations de Dave McKean.
Roman plébiscité aux USA et au Royaume-Uni – il a reçu le prix Hugo du meilleur roman, le prix Locus du meilleur roman pour jeunes adultes, la médaille Newbery et la médaille Carnegie, L’étrange vie de Nobody Owens bénéficie d’une traduction française élégante. Si l’adaptation en roman graphique est parue, l’adaptation cinématographique se fait encore attendre malgré l’achat des droits par les studios Disney.