Dixième et semble-t-il dernier volume de la série des enquêtes de Nicolas Eymerich, enfin complète à La Volte, L’Évangile selon Eymerich use d’une formule éprouvée avec une indéniable réussite : on y retrouve ainsi, non sans plaisir, bien des « gimmicks » qui ont fait toute l’originalité et la pertinence de ce cycle mêlant science-fiction, histoire, ésotérisme et policier.
Au premier chef, bien sûr, il y a le personnage de l’inquisiteur lui-même, toujours aussi intelligent et délicieusement odieux – quitte à verser un brin dans la caricature, ce qui fait partie du jeu. Mais Nicolas Eymerich, dans cette ultime et complexe enquête, gagne en fait une certaine épaisseur, notamment en ce qu’il est personnellement impliqué : nous l’y voyons, en 1372, chasser un certain Rámon de Tárrega, Juif converti entré dans les ordres de saint Dominique, à l’instar de sa Némésis, mais versant plus que jamais dans l’alchimie et la nécromancie. La traque de l’hérétique – supposé mort, pourtant – conduira Nicolas Eymerich de Barcelone à la Sicile (surtout), puis à Naples, où diableries et hallucinations se succéderont à un rythme infernal sur un canevas politique d’une grande subtilité. Le duel acharné entre les deux hommes les enrichit mutuellement, et, si l’inquisiteur reste bien dans l’ensemble le même salopard que nous avons appris à apprécier, il se voit ici poussé dans ses retranchements – par exemple au contact de ces individus si étranges que sont les femmes et les Juifs… Toute blague à part, cet approfondissement du personnage, sans nuire en rien à sa cohérence, participe de la réussite du roman – et, en fait d’Évangile, on serait tenté de parler d’Apothéose…
Les autres procédés coutumiers de la série sont comme de juste employés dans ce dernier tome, et notamment les intrigues parallèles à différentes époques. Si l’enquête de 1372 fournit la presque totalité des développements du roman, elle est néanmoins éclairée par des éléments antérieurs (l’enfance de Nicolas Eymerich, âgé alors de huit ans – des scènes qui en rajoutent quelque peu dans la caricature, et pourtant remuent étrangement) et postérieurs (en l’an 3000, Valerio Evangelisti s’amuse d’une certaine manière à livrer une parodie trash et violente des Clans de la lune alphane de Philip K. Dick…) ; contrairement à ce qui pouvait se produire dans les volumes relativement plus faibles de la série, ce procédé est ici parfaitement sensé et utile à la compréhension de l’intrigue.
Il autorise par ailleurs l’auteur, comme souvent, à injecter une bonne dose de science et de pseudoscience (essentiellement des choses à base de champs magnétiques humains, d’électrochocs et d’espace-temps trituré) dans l’érudition ésotérique à laquelle se confronte l’inquisiteur, oscillant entre l’alchimie, la nécromancie et la Kabbale.
Le résultat est indéniablement un bon cru, qui sait renouveler la série tout en s’y insérant naturellement. Si la plume est à l’occasion un chouia défaillante, l’habileté narrative de Valerio Evangelisti fait des merveilles, comme dans les meilleurs récits du cycle. Un final de qualité, en somme, qui clôt avec honneur une série fort divertissante et joliment hors-normes.