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L'Évangile selon Myriam

Myriam va être exécutée. Ayant achevé de recueillir et de mettre en ordre les rares textes « sacrés » conservés par la communauté dans laquelle elle vit, elle a formé des pensées jugées hérétiques par ses pairs. Et loin de les regretter, elle les a affirmées, s’appuyant sur les récits retrouvés. C’est ce travail que nous pouvons lire, recueil de courtes histoires, regroupées en six grandes parties : « Commen­ce­ments », « Solidarités », « Élus », « Mensonge », « Vérités », « A­mour ». Et, trouvaille d’une grande richesse de Ketty Steward, les sources de ces fragments, ces textes sacrés, sont extrêmement variées, d’époque comme de genre – de la Bible, évidemment, en passant par les contes de Perrault ou Ray Bradbury. Chaque chapitre s’ouvre sur une citation mise en exergue, comme un jugement définitif à méditer. Mais ces sentences ne proviennent pas d’un saint ouvrage, loin de là, puisqu’elles sont toutes issues des œuvres de Milan Kundera ou de Stefan Zweig, transformés pour l’occasion en prophètes d’une foi qui leur est inconnue. Et l’on pense à Walter Miller Jr., qui, dans son Cantique pour Leibowitz, s’interroge aussi sur la transmission du savoir et aux croyances qui l’accompagnent.

Dans ces deux récits, l’histoire se situe résolument dans l’avenir. Un futur post-apocalyptique apparemment, dans L’Évangile selon Myriam, même si l’autrice ne donne presque aucun détail. Elle nous laisse dans le flou et c’est tant mieux, car cela permet de se concentrer sur l’essentiel : comment se construisent les mythes. Quels procédés permettent à un texte, aussi anecdotique soit-il, de passer du statut de simple parole à celui de modèle à méditer et à suivre. Et elle le fait non sans humour, puisqu’un autre auteur revient sans cesse au long de ce roman, Michael Jackson : pas sûr que les croyants soient ravis de ce mélange. Ketty Steward s’attaque ainsi aux textes fondateurs pour en questionner l’essence. La vérité qu’ils assènent, du haut de leur ancienneté et du poids du dogme, les commu­nau­tés, les croyants (religieux ou laïcs), est-elle si absolue ? Ne peut-on s’in­terroger sur leur con­­tenu et, surtout, sur les leçons qu’ils en tirent ? Car, en reprenant les mêmes histoires, mais avec un point de vue différent, on obtient une morale et un éclairage différents – et, de fait, une autre ligne de vie imposée. Ainsi, men­songe et vérité sont-ils intimement liés. Le narrateur, la nar­ratrice, par les choix qu’ils font dans la transmission d’une histoire, jouent un rôle fondamental en guidant les générations futures.

Très différent dans son approche du Lazare attend de James Morrow, autre roman mettant en scène des personnages bibliques, récemment publié Au Diable Vauvert (Ketty Steward ne propose pas réellement une histoire suivie, mais une série de courtes relectures la plupart du temps indépendantes les unes des autres), L’Évangile selon Myriam n’en est pas moins convaincant par son habileté et par le jeu qu’il déploie à travers des récits que nous connaissons tous, qui ont bercé notre enfance pour nombre d’entre eux. Relire ces contes sous un autre prisme s’avère une expérience aussi amusante que perturbante, et de fait enrichissante, tant elle questionne quelques-unes de nos certitudes. Un exercice vital, en somme, ce que sait mieux que quiconque tout lecteur de SF.

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