Jude FISHER
FLEUVE NOIR
367pp - 20,00 €
Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37
Il y a des jours où j'en veux vraiment à mon rédac'chef. Normalement, c'est un boss correct. Il connaît bien son équipe, il sait comment on travaille, qui aime quoi, qui est capable de faire telle ou telle critique, la routine, quoi… Alors, normalement, quand je reçois un mail lapidaire qui me dit qu'il a besoin de tel papier sur tel livre, « et fissa pour hier ! », j'ai confiance. La plupart du temps, j'ai d'ailleurs raison. Et puis soudain, PAF ! Non, pas le chien, mais L'Eveil de la magie. Et là, je m'interroge : sur le sens de la vie, sur la santé mentale de mon rédac'chef, des trucs du genre : « Mais qu'est-ce que je t'ai fait, Olivier ? Tu as quelque chose à me reprocher ??? »
J'ai essayé de lire ce bouquin. Je le jure sur la tête pleine de poils de mon chat. J'ai essayé ; pas pu ; plus fort que moi. Gah… J'ai dû m'arrêter à la page 200 : j'avais les yeux qui pleuraient, le nez qui saignait et les oreilles qui bourdonnaient. Et maintenant, je suis au lit avec un cas de clichéite aigu !
Mais bon, n'écoutant que mon courage, armée des 200 premières pages et de la quatrième de couverture, je vais tout de même essayer de vous donner un vague aperçu.
Alors voilà. On a l'empire d'Elda, composé de deux peuples. Au Nord, dans les glaces, les Eyrains à la peau pâle, qui croient en Sur, le dieu de la mer. Dans le Sud, on a les Istriens à la peau sombre, qui croient en Falla, la déesse du feu au tempérament plus que colérique. Les premiers vendent leurs femmes, les seconds les voilent de la tête aux pieds. Ces deux peuples sont ennemis depuis toujours — leur haine héréditaire s'est nourrie de nombreuses guerres — et le Roi d'Elda a bien du mal à faire respecter la dernière trêve en date. Le seul endroit où leurs querelles soient mises entre parenthèses se trouve à la frontière des deux territoires. La Plaine de Tombelune est un bout de terre déclaré neutre car sacré pour ces deux peuples : elle représente à la fois le Temple de Sur et le Temple de Fella, situés sur le Mont Sacré. C'est à cet endroit que se tient chaque année la Grande Foire, qui permet malgré tout aux Eyrains et aux Istriens de commercer. Hum, bon. On a aussi l'Héroïne. Katla est Eyraine, belle, dix-neuf ans, garçon manqué, rousse, farouche et rebelle. C'est sa première Grande Foire, et d'entrée de jeu, elle viole un des principaux tabous du lieu, à savoir grimper sur le Mont Sacré (la conne !).
Pour la suite, je pense que vous pouvez remplir les trous par vous-même, ayant déjà lu ça quelque part une bonne demi-douzaine de milliers de fois. Parce que moi, j'ai calé. Et ne vous inquiétez pas si mon résumé ne raconte rien : le livre non plus. Figurez-vous que sur la quatrième de couverture, il est dit que l'on va brûler l'Héroïne pour ce fameux sacrilège, commis au tout début du livre. Qu'on se rassure : à la page 200, il n'est toujours rien arrivé à la donzelle. Quant aux personnages principaux, ils ne sont toujours pas sortis de cette maudite foire !
C'est long, c'est lent, c'est vide et pénible. Les décors sont quasi absents, les descriptions sont de l'ordre du mobile pour lit de bébé. Les personnages sont creux comme du bambou, et leurs interactions et les situations dans lesquelles ils sont empêtrés ressortent à tel point du cliché qu'on s'en trouve presque gêné pour l'auteure. L'histoire est tellement conventionnelle qu'elle pourrait haut la main gagner le championnat du plus gros poncif de l'année. Même la magie, pourtant censée être au cœur du débat (c'est dans le titre), se fait si discrète qu'on en oublie presque qu'elle existe. Le seul espoir qu'il reste à ce livre, c'est un changement radical, un demi-tour à 180 degrés, quelque chose, n'importe quoi, qui le rendrait intéressant dans les 167 pages restantes. J'en doute… Et dire qu'il s'agit du premier tome d'une trilogie !
Désolée ami lecteur, mais si tu veux te risquer dans cette contrée sauvage et dangereuse pour la santé mentale, se sera sans moi. Je reste sous ma couette à soigner mon clichéum severitus à coup de lait Corse (2/3 de lait chaud, 1/3 de Cointreau). Petit Papa Noël, toi qui descend sur la blancheur immaculée de nos toits ardoisés… pour la suite de la saga, oublie-moi !