Second opus des « Mille saisons », ce feuilleton intergénérationnel découvert avec La Géante et le naufrageur (critique in Bifrost n°112), L’Éveil du Palazzo nous promène dans le lacis populeux des rues et avenues de la cité de Pré aux Oies. L’occasion pour Léo Henry de prolonger avec bonheur son récit en compagnie de nouveaux personnages pour une aventure riche en rebondissements. Les afficinados de l’auteur peuvent d’ores et déjà jubiler, les autres, principalement néophytes, qu’ils sachent que la lecture de La Géante et le naufrageur n’est aucunement pré-requise pour profiter du présent roman, même s’il est regrettable de ne pouvoir se prévaloir de cette expérience.
L’Éveil du Palazzo prend place entre les murs de Pré aux Oies, vaste cité pyramidale que l’on verrait bien servir de décor à un jeu de rôle. L’architecture labyrinthique de ses artères offre en effet un cadre idéal aux aventures de Lazario, Falsema et Jugon. Des ruelles insalubres du Quart Bas aux contreforts vertigineux des Éminences, en passant par les impasses retorses du Mitan, il, elle et iel courent le pavé, sautant de toitures en toitures ou se faufilant dans les cheminées pour échapper aux forces conjointes des six milices liguées pour faire taire Bavardasse, l’agitateur redouté, ennemi public numéro 1 de l’Archopuissance et de la Régentine, son âme damnée. Jeté sur les chemins de l’aventure avec l’enlèvement de son vénérable maître, Lazario se retrouve mêlé à la révolution qui couve, menaçant les équilibres de la cité dont on découvre peu à peu l’organisation délétère et l’histoire tourmentée. Pré aux Oies apparaît en effet comme un microcosme toxique, une cité stratifiée à l’extrême, concentrant le pouvoir entre les mains d’une minorité profitant du travail et des rêves de ses habitants, tout en trahissant les promesses de ruissellement de cette manne vers les couches sociales inférieures. Toute ressemblance avec une situation existante ou ayant existé serait évidemment purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une coïncidence, hein ? Bref, Léo Henry dépeint un monde fondé sur l’inégalité, la violence et la domination, mais où la solidarité et l’entraide ne sont pas absentes. Rien de neuf sous le soleil de la fantasy, nous dira-t-on ? Fort heureusement, il ne renonce pas à sa volonté de raconter des histoires, partageant la gouaille de ses personnages, leur émerveillement devant les beautés cachées que recèle la cité, mais également leur révolte face à l’iniquité. Aussi, une fois de plus, on se laisse prendre par le récit, s’amusant des trouvailles de l’auteur, tout en restant conscient de l’injustice intrinsèque d’un tel monde et de sa nécessaire rénovation par un imaginaire plus inclusif et équitable.
Avec une curiosité renouvelée, on prendra donc plaisir à poursuivre l’aventure des « Mille Saisons », avant un retour annoncé dans l’Archimonde. En attendant, on conseille aux impatients la lecture de L’Éveil du Palazzo. Ils ne seront pas déçus.