Beatriz est la fille d’un général trahi puis exécuté au cours de la Révolution mexicaine de 1820. À la disgrâce récente de sa famille s’en ajoute une autre plus ancienne. Beatriz, comme l’était son père, est de sang-mêlé dans une société de caste où ce genre de détail a une très grande importance. Alors à l’ostracisme familial lié à ses origines s’ajoute donc maintenant celui qu’entraîne la chute d’un père devenu « radioactif ». Isolées dans un monde impitoyable, Beatriz et sa mère ne trouvent refuge que chez une cousine, qui les méprise et les traite durement. Jusqu’à ce que Beatriz rencontre un riche haciendado qui tombe amoureux d’elle et l’épouse, puis l’emmène dans cette hacienda qu’elle imagine comme le socle de sa renaissance familiale et sociale future. Et c’est là que tout va mal tourner. Car l’accueil qui lui est réservé peut être qualifié de frais. Et que, surtout, la maison ne l’aime pas – et qu’elle est dangereuse.
« L’Hacienda n’a pas la prétention d’être une référence pour ceux qui voudraient étudier cette période de l’histoire du Mexique », prévient l’autrice en postface. Admirable lucidité. On pouvait néanmoins espérer y trouver au moins le « Mexican Gothic meets Rebecca » promis par l’éditeur. Peine perdue. Car si en effet L’Hacienda n’utilise la révolution mexicaine que comme un fond donnant de la chair à son héroïne – semblable à ces backgrounds de quelques lignes des personnages de jdr –, pour ce qui est du roman gothique non plus, L’Hacienda n’est pas vraiment au niveau.
Jamais désagréable à lire, l’histoire des tribulations de Beatriz en butte à une maison maléfique et à une belle-sœur qui ne l’est pas moins n’atteint jamais le degré de qualité qui en ferait un texte important. D’abord, sur le plan de l’écriture. Rien d’époustouflant dans le style, plus quelques perles telles que : « Un instinct sauvage se déploya sur ma nuque, sous ma peau et mes muscles, avant de descendre le long de ma colonne vertébrale », l’inénarrable « Dans mon assiette, le porc devint trouble tandis que des larmes brûlantes me piquaient les yeux », ou le cryptique « Cela me parut si juste que c’était forcément mauvais ». Ensuite, sur le fond. Trop vite et trop complètement, le roman annoncé comme gothique devient une simple histoire de fantômes. Pas de jouvencelle naïve piégée dans les brumes ici, juste une scream queen affrontant son monstre. La maison effraie, certes, mais pas comme un lieu d’ombres et de secrets, comme un simple monstre, un croquemitaine de pierre et de stuc ; trop souvent et longuement (le roman est atrocement verbeux) présentée comme antagoniste, ennemie, attendant, guettant, attaquant, etc., humanisée, donc, elle perd tout le charme du mystère. La famille aussi inquiète, mais celle-ci est bien trop en retrait, ses membres n’apparaissant qu’au moment de faire leur tour, puis disparaissant de nouveau dans le background jusqu’au tour suivant alors qu’on les avait presque oubliés. À cette simple histoire de fantômes s’ajoute une romance coupable et retenue entre Beatriz et Andres, jeune prêtre métis de retour sur les terres de sa grand-mère qui était un peu sorcière ; là c’est « Les Oiseaux se cachent pour mourir meets Harry Potter ». Ce second point de vue fait que Beatriz n’est pas isolée, ergo qu’on ne s’inquiète jamais pour elle – comme on le devrait dans un roman gothique – car, au pire, Andres interviendra – c’est d’ailleurs ce qui arrive quand elle manque mourir. Cerise sur le gâteau, Père Andres, le Ralph de Bricassart local, n’est pas seulement torturé par la tension entre désir et vœu de chasteté, mais aussi par celle entre son enseignement sacerdotal et ses connaissances magiques traditionnelles. Il fera sauter ces deux digues vers la fin du roman. Sur la défaite de la chasteté, je ne m’étendrai pas, mais, sur celle du sacerdoce, qu’on sache qu’après avoir hésité trois cents pages – et raté un exorcisme – Andres saves the day en lançant consécutivement un Sleep, un Knock, et un Control Weather, ce qui en fait un biclassé Druide/Magicien.
Sinon, la couverture est jolie et c’est un peu post-colonial, sans excès ni grande nécessité.