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Les critiques de Bifrost

L'Hiver éternel

John CHRISTOPHER
TERRE DE BRUME
270pp - 19,00 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

Les films « catastrophe » sont généralement… catastrophiques. Stéréotypés à l’extrême ; surtout ceux de catastrophes globales. Le plus souvent, l’hypothèse de base ne tient pas debout et le monde s’écroule mais un chercheur marginal, mis au ban de la communauté scientifique, seul contre tous, sauvera le monde in extremis. Il ne s’agit que d’effrayer le péquin, lui montrer combien la technique est mauvaise mais que l’Amérique (le plus souvent) sauve quand même cette pauvre Terre. Les romans « catastrophe », en général, sont de bien meilleure tenue, et les Anglais s’en sont fait une sorte de pré carré. Que l’on se souvienne de La Forêt de cristal ou Le Monde englouti de J.G. Ballard, Les Furies de Keith Roberts ou Le Crépuscule de Briaréus de Richard Cowper, entre bien d’autres. L’Hiver éternel, dont la VO date de 1962, fut traduit au « CLA » en 1975, couplé avec un autre roman de l’auteur, Terre brûlée.

Le rayonnement solaire s’affaiblit ; on entre dans une nouvelle ère glaciaire. Tel est le postulat initial de John Christopher, même si son propos n’est pas là. La catastrophe arrive (peut-être), mais pas tout de suite. On a ici deux couples encore jeunes de la classe moyenne supérieure britannique. Andrew et Carol ; David et Madeleine. Puis David et Carol, et après Andrew et Madeleine. Une femme qui trompe son mari avec un mari qui trompe sa femme sans vraiment que ça fasse d’histoires. C’est la vie. Un brin de jalousie, de confiance trahie, rien de pathologique. Des grandes personnes. Des adultes faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Sans doute sommes-nous ici plus près de la littérature générale que de la SF !

Pour lire ce roman, il ne faut à aucun moment perdre de vue que le sous-genre « catastrophe » est très souvent contemporain de son écriture et qu’ici, en l’espèce, cette dernière a plus de soixante ans. Le monde est bien différent de ce qu’il est devenu. On est dans le post-colonial immédiat. Deux ans après l’indépendance du Nigéria où se sont réfugiées les deux femmes et Andrew fuyant la dégradation du climat. L’auteur semble bien connaître l’Afrique d’alors et laisse percevoir les tensions qui aboutiront quatre ans plus tard à la guerre (civile) du Biafra opposant les Ibos chrétiens aux Yorubas et Haoussas musulmans. La population du Nigéria est cinq fois moindre qu’aujourd’hui, et bien qu’il n’y ait pas eu d’Hiver éternel ce monde-là a disparu comme si cet hiver avait réellement eu lieu.

Les Blancs reviennent en Afrique non plus comme colons, mais désormais comme réfugiés. Arrivée la première, Carol s’est trouvée un riche protecteur noir alors qu’il y a encore peu de Blanches à s’offrir ainsi et que c’est encore un signe de réussite pour un Noir. Madeleine et Andrew, eux, finissent par échouer au fond d’un des pires bidonvilles de Lagos. Un opportun renvoi d’ascenseur les en tirera. La seconde partie est donc moins sentimentale et plus politique. La nouvelle situation des Blancs n’a plus rien d’enviable, mais John Christopher la met en scène de manière plausible, dramatique, certes, mais sans exagération ni trop de pathos. Les Nigérians font ce qu’ils peuvent et profitent comme ils peuvent. Ni bons ni méchants.

La dernière partie revient vers quelque chose de bien plus classique avec une expédition nigériane à laquelle prend part Andrew pour mettre la main sur l’Angleterre…

Voilà un roman dur et amer qui ne laisse guère d’illusion sur la nature humaine, justement parce qu’il n’en fait jamais trop. C’est ainsi que les hommes (et les femmes) vivent. La catastrophe est là, et il faudra bien faire avec car ce n’est pas l’apocalypse. Bien plus que climatique, la catastrophe est humaine. Les relations entre le carré des principaux protagonistes blancs suffisent à le démontrer. Il n’y a personne pour sauver le monde qui continue, indifférent à la gent humaine…

 

 

 

Jean-Pierre LION

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