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Les critiques de Bifrost

L'Homme-canon

Christophe CARPENTIER
AU DIABLE VAUVERT
256pp - 17,00 €

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Initiée en 2008 avec la publication de Vie et mort de la cellule Trudaine (cf. Bifrost n° 52), l’œuvre de Christophe Carpentier s’enrichit en cette année 2022 d’un neuvième opus, L’Homme-canon. Avec celui-ci, l’auteur des « space-odysséens » Mur de Planck I et II (cf. Bifrost n° 82 et 86) s’affirme de nouveau comme un redoutable praticien d’une anticipation à la fois spéculative et critique dont avait aussi témoigné son récent Cela aussi sera réinventé (cf. Bifrost n° 100).

L’Homme-canon se déroule en 2069, dans une France désormais régie par la VIe République. Celle-ci fut le fruit d’une série d’événements initiée dans notre trouble présent, aboutissant en 2054 à une situation ainsi résumée par un personnage : « C’était la merde à tous les niveaux, tant médical, social, économique que climatique, et le chaos dans toutes les têtes. » Au plus fort de cette crise polymorphe, comme de ce désarroi existentiel, s’organisa un Gouvernement d’Urgence Nationale – le G.U.N. Ostensiblement agressif, l’acronyme tint en quelque sorte lieu de programme à un pouvoir (classiquement) liberticide, s’employant à éteindre les désordres d’une façon quant à elle assez inédite. Une fois assuré du strict contrôle de l’ensemble des médias, le G.U.N fit en effet de ces derniers les fondements d’une « ère de propagande pédagogique et culpabilisatrice ». N’autorisant que la seule diffusion de reality-shows sulpiciens sur « les Forces de l’Ordre, les Militaires, les Éboueurs, les Sages-femmes, les Urgentistes, les Aides-soignants, les employés des Associations caritatives, les Assistantes Sociales, etc. », le G.U.N dessina un nouvel horizon politique. Ce dernier s’incarnant dans la devise de la VIe République, « Responsabilité-Empathie-Maturité », qui se substitua au « triptyque éculé Liberté-Égalité-Fraternité » ainsi que le qualifie, là encore, l’un de ces Français du futur imaginés par Christophe Carpentier…

Telle est donc la France d’après-demain dans laquelle un certain Bastien Lebaye prétend s’essayer au métier donnant son titre au roman, ou plutôt à la pièce de théâtre qu’est en réalité L’Homme-canon. Rompant en effet avec la narration romanesquement omnisciente caractérisant ses livres précédents, Christophe Carpentier fait ici le choix de composer une œuvre exclusivement dialoguée, s’articulant en scènes qu’émaillent des didascalies. Efficacement servi par une ironie oscillant entre celles de Swift et du stand-up contemporain, ce parti-pris d’écriture convainc d’autant plus que le monde qu’il restitue est lui-même fondamentalement théâtralisé. Notamment du fait de l’action aliénante d’une inédite « démocrature » qui use comme arme de domination massive d’une télé n’ayant de « réalité » que le nom. Une dramatisation du réel que se propose de contrecarrer Bastien selon une praxis dont l’on ne révélera rien. Car la puissance d’impact de L’Homme-canon tient aussi à un art certain de la surprise…

Croisement ô combien stimulant entre univers dystopique et écriture théâtrale, L’Homme-canon confirme la singulière fécondité de Christophe Carpentier au sein de la SF francophone.

Pierre CHARREL

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