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Les critiques de Bifrost

L'Homme dans la lune

Francis GODWIN
MARGUERITE WAKNINE
10,00 €

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Évêque anglican né une petite vingtaine d’années après la mort de Nicolas Copernic (1543), contemporain de Johann Kepler et Giordano Bruno, décédé une dizaine d’années avant la naissance d’Isaac Newton (1642), Francis Godwin (1562-1633) est l’auteur d’un catalogue d’évêques, d’études historiques… et d’un roman de proto-science-fiction paru de façon posthume : L’Homme dans la Lune.

« Ô Lecteur, tend l’Oreille et prépare-toi à entendre l’Aventure la plus étrange survenue à un Mortel. »

Le récit se présente comme le compte-rendu d’un gentilhomme espagnol, Domingo Gonsales. Forcé de quitter son pays à la suite d’un duel, Gonsales se retrouve sur l’île de Sainte-Hélène. Là, il entreprend d’apprivoiser des gansas, des sortes d’oies, et se fabrique une nacelle tirée par les volatiles. Suite à diverses péripéties sur le chemin du retour vers l’Espagne, Gonsales se retrouve à son corps défendant emmené vers la Lune par son attelage de gansas

Par l’entremise de son narrateur, Godwin se fait le porte-parole des théories de Copernic : l’ascension de Gonsales vers la Lune est l’occasion de s’interroger sur le mouvement apparent des astres et leur vitesse, de l’attraction gravitationnelle de la Lune et de la Terre, ainsi que de la transmission de la chaleur dans un espace dépourvu d’air. Autant de notions qui nous semblent tomber sous le sens, mais qui n’étaient pas encore universellement acceptées à l’époque. Après onze jours de voyage, Domingo arrive sur la Lune et la voit sous son véritable aspect : essentiellement couverte d’eau, elle comporte un unique continent. Autre monde, autres couleurs : celles-ci sont littéralement indescriptibles. Ici, tout est vingt à trente fois plus grand que sur Terre. Gonsales rencontre bientôt les gigantesques habitants de la Lune, qui s’expriment dans une langue musicale compliquée, et découvre leur société idéale : sur ce monde pastoral plongé dans un printemps perpétuel, on mange peu, on vit longtemps, les femmes sont belles, la fidélité fait loi, et les cadavres ne se décomposent pas ; de plus, les larcins sont inconnus. Peut-être cette harmonie est-elle due à cette vilaine astuce : les Lunaires se débarrassent de leurs rejetons imparfaits en les envoyant sur Terre. Inquiet pour le bien-être de ses gansas, Domingo décide de revenir sur son monde natal après quelques mois — le récit se poursuit par l’atterrissage en Chine, pour une poignée d’aventures d’un intérêt secondaire.

L’Homme dans la Lune saura inspirer une cohorte d’auteurs, à commencer par Cyrano de Bergerac. Au-delà de son aspect picaresque, qui rend la lecture toujours plaisante (pour peu que l’on soit amateur de curiosités), le récit vaut pour les aspects scientifiques liés au voyage spatial de Gonsales, audacieux pour l’époque de publication, et pour la description de l’utopique société lunaire. Une œuvre somme toute étonnante de la part d’un ecclésiastique, prouvant que, parfois, science et religion peuvent faire bon ménage.

Erwann PERCHOC

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