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Les critiques de Bifrost

L'Homme nu

Dan SIMMONS
POCKET
400pp - 9,20 €

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

Gail et Jeremy Bremen forment un couple fusionnel parfait. À la communauté de pensée qu’ils éprouvent au quotidien s’ajoute une communion des corps et des émotions peu habituelle. La symbiose de leur couple échappe pourtant aux conventions sociales, reposant entièrement sur le lien télépathique qu’ils se sont découverts et dont ils ressortent plus forts. En âmes sœurs, leurs esprits affrontent ainsi sans faillir la neuro-rumeur du monde. Un maelström hétéroclite et puissant composé de pensées parasites, de pulsions et de vices inavouables contre lequel ils opposent l’écran inébranlable de leur amour sincère et de leur passion pour la science. Mathématicien, Jerry cherche en effet à donner une forme rationnelle à l’esprit humain, mobilisant toutes les ressources de la physique quantique pour parvenir à ses fins. Dans les moments de doute, il peut compter sur Gail pour le conforter dans ses recherches et le pousser à les poursuivre en dépit des obstacles. Dans les moments de jubilation intense, elle tempère son enthousiasme, lui ramenant les pieds sur terre. Jusqu’au jour où Gail meurt, emportée par une tumeur cérébrale. Jerry devient alors l’homme creux du titre VO, incapable de résister à la vague montante de la neuro-rumeur. Une coquille vide en proie aux idées suicidaires et à la tentation du repli sur soi.

Curieux hybride de hard SF, de roman d’amour et de thriller, Dan Simmons donne libre cours dans L’Homme nu à son goût pour l’introspection psychologique et la spéculation science-fictive. D’aucuns feront sans doute le parallèle avec L’Oreille interne de Rober Silverberg. Toutefois, les réflexions de l’auteur, inspirées en grande partie de la théorie des mondes multiples découlant de l’interprétation de Hugh Everett, ne sont pas sans rappeler aussi celles de L’Œil dans le ciel de Philip K. Dick. Simmons remplace juste la paranoïa cauchemardesque de son illustre prédécesseur par un récit d’amour frappé du sceau du deuil et de l’incomplétude. Cet aspect de L’Homme nu est sans doute le plus réussi. Il permet à l’auteur de dérouler toute la finesse émotionnelle de sa palett d’écriture. Il entremêle hélas la trame scientifico-psychologique à une intrigue, en forme de road-novel, jouant avec les ressorts du suspense. Le procédé confère un aspect hétéroclite au roman, d’autant plus fâcheux que les péripéties du récit paraissent trop fabriquées pour être crédibles. Entre les mafieux italiens, la tueuse en série et les clodos bienveillants, il accumule les clichés avec un aplomb qui ébranle la suspension d’incrédulité la mieux accrochée.

Au bout du compte, L’Homme nu laisse le lecteur dubitatif, partagé entre l’envie d’aimer un roman titillant avantageusement le sense of wonder et la tentation de ricaner devant la faiblesse de ses ressorts dramatiques. Dommage.

Laurent LELEU

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