Pierre PELOT
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
288pp - 7,90 €
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
Étonnant projet que celui-ci : reprendre la trame et les personnages de L’Île au trésor de Stevenson pour les plonger dans un futur proche. Là où Pelot fait preuve d’une vraie originalité, c’est qu’il n’a pas décidé de simplement s’inspirer du célèbre roman, il en réalise un décalque presque parfait : la trame est quasiment identique, les noms des personnages inchangés (Long John Silver devient tout de même Johnny Jump Silver)… S’il s’agissait de cinéma, on parlerait de remake. Ce projet éditorial est surtout l’occasion pour l’auteur vosgien de rendre hommage à l’écrivain écossais et à son texte séminal du roman d’aventures contemporain devenu l’un des plus grands classiques de la littérature mondiale. Une opération casse-gueule, bien sûr, car même si Pelot n’a pas la prétention de se comparer au maître, son Île au trésor doit dépasser le stade de la simple copie et s’avérer un ouvrage à lire pour lui-même, indépendamment de son glorieux aïeul, tout en proposant son content de péripéties et de personnages bien campés. Pierre Pelot, cinquante ans d’écriture au compteur, s’acquitte de la tâche avec maestria, et ce dès les premières pages (l’arrivée, ou plutôt l’échouage de Billy Bones), les descriptions acérées permettant à l’auteur de croquer en quelques mots ses protagonistes. On suit ainsi le jeune Jim Hawkins, dont la tante tient un hôtel sur une île des Caraïbes, dans un futur où le niveau des océans a dramatiquement grimpé, remodelant les continents. Plutôt qu’une longue description des changements climatiques ayant conduit à la situation présente, Pelot préfère procéder par petites touches, conférant crédibilité au récit et favorisant l’immersion du lecteur. Celle-ci est nécessaire car le rythme va bientôt s’accélérer à mesure que les bad boys entrent en scène. Dès lors, l’auteur nous embarque pour une aventure débridée qui nous emmène jusqu’au Brésil, avec quelques réminiscences du Monde englouti de Ballard ou d’Apocalypse Now de Coppola (pour la très angoissante remontée du fleuve). On appréciera notamment la maîtrise de la tension sous-jacente entre Jim et les siens d’une part, les malfrats d’autre part : même si personne n’est dupe des enjeux, tous vont faire comme si de rien n’était avant que les antagonismes ne finissent par surgir au grand jour. Et Pelot fait du lecteur son complice : on connaît le déroulement de l’histoire, l’auteur ne peut donc nous prendre par surprise, mais il y arrive parfois néanmoins, dans le choix d’une petite entorse au roman de Stevenson, et l’on se prend à imaginer le père de Dylan Stark nous adressant un clin d’œil appuyé par-delà les pages.
Au final, Pierre Pelot s’est emparé d’un matériau en or pour nous en proposer une relecture moderne et vivifiante parfaitement maîtrisée, y compris dans sa distance à l’œuvre étalon : ni trop proche, ni trop éloignée – une preuve éclatante du talent d’écrivain populaire du bonhomme.