La science-fiction chinoise ne se limite pas à Liu Cixin et au Problème à trois corps. Il existe bien d’autres auteurs œuvrant dans des styles différents. À l’image de Chen Qiufan, notamment, choisi par Rivages pour être le titre initial d’une nouvelle collection dédiée à l’Imaginaire (une de plus, principalement SF et fantastique d’après les textes annoncés pour 2023). Premier roman de son auteur, L’Île de silicium, écrit en 2013, garde fermement les pieds sur terre. Il nous projette dans un futur proche, sur une île au sud de la Chine, non loin de Hong Kong, et servant de décharge et de centre de retraitement à ciel ouvert des détritus électroniques venus du monde entier. Sur l’île nommée Silicium, tellement polluée que l’eau potable y est une denrée rare, acheminée à grands frais tous les jours, trois clans se partagent les recettes de cette industrie du recyclage ; ces insulaires méprisent les « déchetiers », migrants venus du reste de la Chine, employés comme main-d’œuvre à bas coût et dont la vie n’a finalement que peu de valeur. Dans un futur où les prothèses remplacent membres et organes, et où toutes sortes d’implants, de lunettes et de tatouages assurent une connexion permanente, Silicium, classée « zone à débit restreint », fait figure de parent pauvre de la grande famille des nations. Insulaires comme déchetiers survivent à coup de bidouillages, souvent au péril de leur santé, physique comme mentale. Quand Xiaomi, déchetière sans particularité, trouve une prothèse médicale étrange, elle va déclencher une cascade d’événements qui vont attiser la convoitise des clans et de mystérieux investisseurs américains…
Avec L’Île de Silicium, Chen Qiufan signe un polar cyberpunk classique, et dans ses enjeux, et dans sa trame. On pourrait presque dire que le polar est dans son jus, tant il rappelle certains textes, et surtout certains mangas et animes cyberpunks des années 90 (Gunnm, Ghost in the Shell ou Neon Genesis Evangelion pour les plus évidents). Mais… passée une exposition en première partie qui prend son temps pour bien présenter les personnages et les enjeux, il se révèle vite prenant et se dévore assez rapidement. Le mélange entre le côté anticipation et les coutumes et croyances chinoises aboutit à une conclusion surprenante pour les lecteurs occidentaux. Et à travers le prisme d’une histoire se déroulant dans le futur, Chen Qiufan nous parle de plusieurs réalités bien présentes que nous ne voulons pas forcément voir : comment l’Occident sous-traite le problème de ses déchets à d’autres avec les conséquences écologiques et sanitaires que cela entraîne, la surveillance permanente d’une population chinoise hyperconnectée, qu’elle le veuille ou non, et l’existence d’une migration interne importante avec des déclassements et des affrontements économiques sanglants.