L’Île du Docteur Mort et autres histoires et autres histoires (Gene Wolfe est un plaisantin) regroupe quatorze nouvelles que l’auteur a rédigées au cours des années 70, dont trois des quatre variations « Île/ docteur/mort ». Vous avez pu découvrir au sommaire des fictions du présent Bibi (comme on dit par ici) « L’Île du Docteur Mort et autres histoires », qui mêle hommage au roman fondateur de H.G. Wells, évocation d’une enfance perturbée et réflexion métafictionnelle, au sein d’un récit aussi troublant que magistral. « La Mort du docteur Île » voit un adolescent, Nick, échoué sur une île presque déserte ; quelques autres ados perdus y résident, et l’île elle-même parle à Nick. En supposant qu’il s’agisse bien d’une île… Quant au « Docteur de l’île de la mort », elle met en scène un jeune homme enfermé dans un lieu qui serait une prison. Ou un hôpital. Ou le sommet îlien d’une montagne. Ou les trois à la fois. For- mant l’épine dorsale du recueil, ces trois novelettes proposent autant de variations sur l’enfermement et l’absence d’échappatoire, au fil de récits se laissant difficilement appréhender. Manque « The Death of the Island Doctor », dernière variation restée inédite sous nos latitudes.
Le reste du recueil voit Wolfe alterner les genres avec un bonheur déroutant. Relevant du space opera, « Les Cailloux d’un autre monde » nous amène à bord du Gladiateur, astronef dont l’équipage a pour but d’explorer un vaisseau extraterrestre… Est-il vide ? Comment comprendre les aliens ? Accompagné d’une empathologiste, le capitaine Daw espère bien éclaircir ce mystère. Et Wolfe de bien prendre soin de retarder les révélations, laissant le lecteur dans l’expectative à l’issue de cette nouvelle plus dickienne qu’il n’y paraît. « Chant de chasse » est peut-être l’une des novelettes les plus accessibles du recueil. Amnésique, le narrateur a repris conscience sur un monde enneigé et peuplé de différentes humanités. Tombé du Grand Traîneau, il va essayer de regagner ce véhicule, se liant avec les peuplades rencontrées et combattant des géants. Plus visuel que les autres textes, ce récit offre de belles visions… tout en restant insaisissable. Autre réussite, « Les Visions miraculeuses » amène le lecteur à suivre les pas d’un garçonnet aveugle qui va traverser les États-Unis en train, oscillant entre le monde réel et des séquences oniriques rendant hommage à un certain classique inoxydable de la littérature jeunesse. Concluant le recueil, la novelette « Sept nuits américaines » prend la forme du journal de Nadan Jaffarzadeh, voyageur venu d’Orient pour visiter les USA, au fil d’un récit évoquant les Lettres persanes de Montesquieu.
Entre ces nouvelles, souvent amples, s’insèrent des textes plus brefs à l’intérêt moindre. Du lot, retenons « Le Théâtre de marionnettes » : les marionnettistes du futur sauront manipuler non pas une, non pas deux mais au moins quatre ou cinq marionnettes, à taille humaine… mais notre narrateur, marionnettiste, est-il bien ce qu’il prétend être ?
Au bout du compte, L’Île du Docteur Mort et autres histoires forme un recueil aussi passionnant qu’exigeant, qui nécessite la pleine attention de ses lecteurs pour venir à bout de la prose insaisissable de Wolfe.